« Je pars à la chasse à l’homme et j’ai soif de sang », écrit le jeune homme dans l’un de ses carnets. Simon (le prénom a été changé), 19 ans, projette de commettre une tuerie de masse, un carnage. Une date a même été fixée pour le passage à l’acte : le 20 avril 2022. À quatre jours du deuxième tour de l’élection présidentielle et, surtout, à la date anniversaire de la naissance d’Adolf Hitler. En guise de préparation, il a déjà effectué des repérages autour de son ancien lycée et d’une mosquée située à proximité, dans le département de la Seine-Maritime. « Je veux faire pire que Columbine », s’est-il promis, en référence à la fusillade qui a fait quinze morts dans un lycée américain, là encore un 20 avril, en 1999.
Fort heureusement, sa folle ambition criminelle a été stoppée il y a quelques jours. Originaire de l’agglomération havraise, Simon a été interpellé et placé en garde à vue mardi dernier, le 28 septembre, par les policiers de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Déféré devant un juge antiterroriste, il a été mis en examen ce vendredi pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle » et placé en détention provisoire. Une information confirmée par le parquet national antiterroriste.
Il avait écrit son propre « Mein Kampf »
À son domicile, les enquêteurs ont découvert une collection d’une vingtaine de couteaux et au moins trois armes à feu dont son beau-père était propriétaire : une carabine 22 long rifle équipée d’une lunette de visée, un fusil de chasse et un pistolet à air comprimé. Par ailleurs, toujours selon des sources proches de l’enquête, les policiers de la DGSI ont mis la main lors de la perquisition sur vingt cahiers intitulés « Mein Kampf » et noircis d’une prose particulièrement inquiétante. Simon y fait allégeance au Führer, se définissant à certains moments comme « un extrémiste partisan de la vision politique de Hitler », à d’autres comme « un combattant blanc et nationaliste ». Sa frustration sentimentale et sexuelle affleure au détour de certaines logorrhées racistes et suprémacistes. Il exècre ces hommes « noirs, juifs et arabes », « tous des racailles », qui réussissent à conquérir des femmes blanches qui lui échappent désespérément.
Le Normand fait aussi référence à Anders Breivik, le terroriste norvégien d’extrême droite qui a perpétré les attentats d’Oslo et d’Utøya (77 morts et 151 blessés le 22 juillet 2011). Ce jeune homme, sans activité professionnelle et récemment déscolarisé après l’obtention d’un baccalauréat professionnel, semble également animé par une rage qui remonte à l’enfance. Il prétend avoir été victime d’une agression sexuelle dès son plus jeune âge puis d’avoir subi pendant plusieurs années le harcèlement de ses camarades de classe. Simon a d’ailleurs dressé la liste d’une trentaine de personnes dont il espère se venger, arme à la main. Courant 2020, il a rejoint une boucle Telegram, une messagerie cryptée, intitulée « Fuck le harcèlement ». Ce thème ne cesse de le hanter.
Membre de la Division Atomwaffen sur Telegram
Interrogé au cours de sa garde à vue sur son analyse de l’état de la société française, Simon y fait une nouvelle fois référence. Il estime ainsi que l’impunité dont bénéficieraient les harceleurs dans les établissements scolaires est l’un des problèmes majeurs du pays. Plus globalement, le jeune homme pointe l’augmentation supposée de la délinquance dans l’Hexagone. Il estime aussi que l’État français n’en fait pas assez pour lutter contre l’islam radical et pour faire face au risque « d’un grand remplacement », théorie diffusée par l’écrivain français d’extrême droite Renaud Camus selon laquelle le monde occidental serait en train d’être envahi par les « non Européens ». Une idée reprise, entre autres, par Eric Zemmour.
Dans la vie réelle, Simon n’a que très peu de relations amicales. À peine sorti de l’adolescence, il apparaît comme un jeune homme hésitant et emprunté. Sur les réseaux, en revanche, il se lie avec des jeunes gens qui lui ressemblent, fascinés par l’ultra-violence et l’idéologie néonazie. C’est par le biais de la boucle Telegram baptisée « Atomwaffen Division » (du nom d’un réseau terroriste néonazi américain) qu’il fait notamment la connaissance de Leila B., toujours dans le courant de l’année 2020.
Perméable aux pulsions criminelles de toutes sortes, pourvu qu’elles soient spectaculaires, cette jeune fille de Béziers (Hérault), qu’il n’a jamais rencontrée directement, se nourrit de vidéos et de littérature djihadistes. Elle ne voue pas de culte à Adolf Hitler. Pourtant, un lien avec Simon s’établit sur la base de discussions écrites au sujet du maniement des armes, des explosifs et de la confection de bombes artisanales. Autant de moyens possibles pour réaliser des tueries de masse.
Son « frère d’armes » alsacien devait agir le même jour
Comme Simon, Leila B. envisage de réaliser une attaque meurtrière dans son lycée. Mais elle rêve surtout de poser une bombe dans l’église la plus proche de chez elle au moment des fêtes de Pâques. Détectée par la DGSI quelques jours avant son éventuel passage à l’acte, elle est mise en examen, le 8 avril dernier, pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». En enquêtant sur ses relations nouées au travers des réseaux sociaux, les limiers du renseignement découvrent alors un mélange détonnant d’islamistes radicaux et des jeunes de la mouvance néonazie parmi lesquels Simon et Nicolas (le prénom a été changé), un Alsacien de 18 ans. Ce dernier a été mis en examen en août pour ne pas avoir dénoncé le crime que Leila se préparait à commettre.
C’est de lui que Simon a parlé au cours de sa garde à vue. Face aux enquêteurs, il le présente même comme son « frère d’armes ». Celui avec lequel il préparait « l’Œuvre » : un double projet commun de tuerie de masse qui devait être exécuté le 20 avril prochain en deux lieux distincts. Rien toutefois ne permet d’étayer à ce stade l’existence d’un projet concret mené par Nicolas. Ce jeune homme, actuellement sous contrôle judiciaire, sera prochainement réentendu par les enquêteurs. Contacté, l’avocat de Simon, Me Malcolm Mouldaïa, n’a pas souhaité réagir à nos informations.