Le peuple ne s'est pas donné à lui-même le suffrage universel ; partout où celui-ci est en vigueur aujourd'hui, il l'a reçu et accepté provisoirement : de toute façon, il a le droit d'en faire la restitution s'il ne donne pas satisfaction à ses espoirs. Cela semble être maintenant partout le cas : si, à l'occasion d'élections, à peine deux tiers des électeurs, et souvent presque la majorité, ne se présentent à l'urne, on peut dire que c'est là un vote contre le système dans son ensemble.
- Il faudrait même juger ici avec plus de sévérité encore. Une loi qui détermine que c'est la majorité qui décide en dernière instance du bien de tous ne peut pas être édifiée sur une base acquise précisément par cette loi ; il faut nécessairement une base plus large et cette base c'est l'unanimité de tous les suffrages. Le suffrage universel ne peut pas être seulement l'expression de la volonté d'une majorité : il faut que le pays tout entier le désire. C'est pourquoi la contradiction d'une petite minorité suffit déjà à le rendre impraticable : et la non-participation à un vote est précisément une de ces contradictions qui renverse tout le système électoral. Le « veto absolu » de l'individu, ou, pour ne pas nous perdre dans des minuties, le veto de quelques milliers d'individus plane sur ce système, et c'est une conséquence de la justice : à chaque usage que l'on fait du suffrage universel, il lui faudrait démontrer, selon le taux de participation, qu'il existe encore à bon droit.