C'est le peuple français qui, par ses
représentants, réunis en Assemblée nationale, le 10 juillet 1940,
m'a confié le pouvoir. C’est à lui que je suis venu rendre des comptes.
La Haute Cour, telle qu'elle est constituée, ne représente
pas le peuple français, et c'est à lui seul que s'adresse le
Maréchal de France, chef de l'État.
Je ne ferai pas d'autre déclaration.
Je ne répondrai à aucune question. Mes défenseurs ont reçu
de moi la mission de répondre à des accusations qui veulent
me salir et qui n'atteignent que ceux qui les profèrent.
J’ai passé ma vie au service de la France. Aujourd'hui, âgé
de près de 90 ans, jeté en prison, je veux continuer à la servir, en m'adressant à elle une fois encore.
Qu’elle se souvienne!... J'ai mené ses armées à la victoire, en 1918.
Puis, alors que j'avais mérité le repos, je n'ai cessé de me consacrer à elle.
J'ai répondu à tous ses appels, quels que fussent mon âge et ma fatigue.
Au jour le plus tragique de son histoire, c'est encore vers
moi qu'elle s'est tournée.
Je ne demandais ni ne désirais rien. On m'a supplié de
venir : je suis venu.
Je devenais ainsi l'héritier d'une catastrophe dont je n'étais
pas l'auteur. Les vrais responsables s'abritaient derrière moi
pour écarter la colère du peuple.
Lorsque j'ai demandé l'armistice, d'accord avec nos chefs
militaires, j'ai rempli un acte nécessaire et sauveur.
Oui, l’armistice a sauvé la France et contribué à la victoire
des alliés, en assurant une Méditerranée libre et l’intégrité de l'Empire.
Le pouvoir m’a été alors confié légitimement et reconnu par
tous les pays du monde, du Saint-Siège à l’U.R.S.S.
De ce pouvoir, j’ai usé comme d’un bouclier pour protéger le
peuple français. Pour lui, je suis allé jusqu'à sacrifier mon
prestige. Je suis demeuré à la tête d'un pays sous l’occupation.
Voudra-t-on comprendre la difficulté de gouverner dans de
telles conditions? Chaque jour, un poignard sur la gorge, j'ai
lutté contre les exigences de l’ennemi. L’histoire dira tout ce
que je vous ai évité, quand mes adversaires ne pensent qu’à
me reprocher l’inévitable.
L'occupation m'obligeait à ménager l’ennemi, mais je ne le
ménageais que pour vous ménager vous-mêmes, en attendant
que le territoire soit libéré.
L’occupation m’obligeait aussi, contre mon gré et contre
mon cœur, à tenir des propos, à accomplir certains actes dont
j'ai souffert plus que vous, mais, devant les exigences de l’ennemi,
je n'ai rien abandonné d’essentiel à l’existence de la patrie.
Au contraire, pendant quatre années, par mon action, j’ai
maintenu la France, j’ai assuré aux Français la vie et le pain,
j’ai assuré à nos prisonniers le soutien de la Nation.
Que ceux qui m’accusent et prétendent me juger s’interrogent
du fond de leur conscience pour savoir ce que, sans moi,
ils seraient peut-être devenus.
Pendant que le général de Gaulle, hors de nos frontières,
poursuivait la lutte, j’ai préparé les voies à la Libération, en
conservant une France douloureuse mais vivante.
A quoi, en effet, eût-il servi de libérer des ruines et des
cimetières?
C’est l’ennemi seul qui, par sa présence sur notre sol envahi,
a porté atteinte à nos libertés et s’opposait à notre volonté de
relèvement.
J’ai réalisé, pourtant, des institutions nouvelles : la constitution
que j’avais reçu mandat de présenter était prête, mais
je ne pouvais la promulguer.
Malgré d'immenses difficultés, aucun pouvoir n’a, plus que
le mien, honoré la famille et, pour empêcher la lutte des
classes, cherché à garantir les conditions du travail à l’usine
et à la terre.
La France libérée peut changer les mots et les vocables. Elle
construit, mais elle ne pourra construire utilement que sur les
bases que j'ai jetées.
C'est à de tels exemples que se reconnaît, en dépit des haines
partisanes, la continuité de la patrie. Nul n'a le droit de l'interrompre.
Pour ma part, je n'ai pensé qu'à l'union et à la réconciliation
des Français, je vous l'ai dit encore le jour où les Allemands
m’emmenaient prisonnier parce qu’ils me reprochaient de
n'avoir cessé de les combattre et de ruiner leurs efforts.
Je sais qu'en ce moment, certains ont oublié, depuis que je
n’exerce plus le pouvoir, ce qu'ils ont dit, écrit ou fait, des
millions de Français pensent à moi, qui m’ont accordé leur
confiance et me gardent leur fidélité.
Ce n'est point à ma personne que vont l'une et l'autre mais,
pour eux comme pour bien d'autres, à travers le monde, je
représente une tradition qui est celle de la civilisation française
et chrétienne, face aux excès de toutes les tyrannies.
En me condamnant, ce sont ces millions d’hommes que vous
condamnerez dans leur espérance et dans leur foi. Ainsi, vous
aggraverez ou vous prolongerez la discorde de la France, alors
qu'elle a besoin de se retrouver et de s’aimer pour reprendre
la place qu'elle tenait autrefois parmi les nations.
Mais ma vie importe peu. J’ai fait à la France le don de ma
personne. C'est à cette minute suprême que mon sacrifice ne
doit plus être mis en doute.
Si vous deviez me condamner, que ma condamnation soit la
dernière et qu'aucun Français ne soit plus jamais condamné ni
détenu pour avoir obéi aux ordres de son chef légitime.
Mais, je vous le dis à la face du monde, vous condamneriez
un innocent, en croyant parler au nom de la justice et c'est un
innocent qui en porterait le poids, car un Maréchal de France
ne demande de grâce à personne.
A votre jugement répondront celui de Dieu et celui de la
postérité. Ils suffiront à ma conscience et à ma mémoire.
Je m'en remets à la France