bigbillbroonzie
2021-06-05 23:41:51
En ce 19 mai 2021, M. Eric Dupond-Moretti parcourt d’un œil morne les actualités des pages virtuels du Monde, qu’il fait défiler d’un doigt paresseux sur sa tablette, tandis que le TGV dans lequel il voyage en première s’apprête à entrer en gare de Lille-Flandres. Le ministre, jusque là à demi endormi en cette heure matinale, est réveillé par l’aiguillon de la rivalité qui pique ses flancs généreux. Et pour cause ! En ce jour de réouverture des terrasses, des dizaines d’articles sont consacrés à messieurs Macron et Castex, cabotinant tout sourire autour d’un expresso fictif.
« De la com’ facile ! Je peux en faire autant ! », jalouse l’avocat, en ponctuant l’assertion d’un pet bien gras.
Nul masque ne saurait protéger les voyageurs de la voiture 17 de l’effluve, et tandis que les crissement du train qui freine recouvre les toux des passagers ainsi moutardé, Dupond-Moretti, d’un sms mollement boudiné sur son cellulaire, convoque séance tenante un journaliste de la Voix du Nord pour une séance photos sur la Grand’ Place.
C’est à peine quelques minutes plus tard que Dupond Moretti, y déposant son fessier pachidermique, fait gémir le rotin usé d’une chaise du bistrot « La Houbelonnière ». Il n’y a pas encore foule en ce milieu de matinée, mais le retour d’Acquitator sur ses terres natales ne laissent jamais personne indifférent, et déjà les badauds posent un œil fier sur l’enfant du pays, gros poupon s’il en est.
Roxane, petite serveuse au teint grêle et à l’oeil vif, le cheveux brun et rebelle comme la chicoré de son Artois natal, sourit au magistrat en s’approchant de lui du pas joyeux de l’employée ravie de reprendre enfin du service. La petite nouvelle a évidemment reconnu le visage rouge brique et la bedaine ministérielle de l’avoué, mais elle n’a jamais eu à subir, comme ses collègues les plus vétérans, les légendaires colères du maitre, habitué des lieux depuis ses premières plaidoiries au Parquet de Lille. Le calepin de la petite serveuse est à peine sorti de son tablier que Dupond Moretti ordonne d’une voix de stentor :
« Mon petit ! La Cinquième n’attend pas ! Dix pintes de Picon-bière, deux welsh, une douzaine de crèpes à la cassonade, huit assiettes de carbonades, quatre saladiers de frites, deux douzaines de fricandelles, une marmite de Potjevleesch, un plat de chicons au gratin sans endives, vingt cassolettes de moules au maroilles et deux coqs à la bière ! »
Le stylo de Roxane a bien du mal à suivre le rythme de la commande, et à peine a-t-elle tourné le dos pour envoyer la commande en cuisine que gros Dupond s’impatiente :
« Le temps judiciaire n’est pas le temps de la restauration ! », s’agace-t-il en fessant la jeune fille d’une main experte. Et c’est les yeux embués de larmes et les joues rougies de honte que Roxane presse le pas.
A la « Houbelonnière », chacun connaît les caprices du Maitre et tous les redoutent, aussi l’on fait au plus vite, et voilà rapidement la table du ministre garnie des victuailles demandées. D’un œil boulimique gorgé de sang et d’avidité, l’ogre des Flandres balaye la Grand’Place. Pas encore de journaliste en vue. Il ricane de satisfaction. Son timing est parfait ! Il va pouvoir bâfrer à l’abri des caméras. Et gros Dupond de commencer son morbide ouvrage. Le régional de l’étape se lance dans un sprint effréné et dévore un par un les mets qu’il a commandé, arrosant chaque bouchée d’un trait de vin d’orge. Sucre, gras, sel, rien n’est assez bon, rien n’est de trop pour la bouche dyonnisiaque de l’avoué, qui s’en donne à coeur joie. C’est un récital, un chef-d’oeuvre, une master-classe, comme disent les proches voisins d’outre-manche.
C’est au moment où la dernière assiette est débarrassée par une Roxanne au bord de l’apoplexie que le petit gratte-papier de la Voix se montre alors, avançant timidement vers la terrasse, son Leïca au cou. Le Maitre, rendu bonhomme par son repas copieux, agite vers lui une main gargantuesque et tonne avec ironie :
« Approchez mon vieux, je ne vais pas vous manger ! »
L’écrivaillon se met au travail et Dupond-Moretti pose, donne au photographe son plus beau sourire, découvrant ses dents travailleuses, ses babines rassasiées, ses mandibules héroïques de verrat diabétique. Mais soudain, sa mâchoire se crispe. Un énorme gargouillis, venu du fond des âges, retentit depuis la panse du maitre et rebondit en mille échos sur les façades flamandes qui entourent la Grand’Place. Dupond-Moretti sait ce qui est en train d’arriver. A dire vrai, depuis le temps, il y a même pris goût. Mais pas ici, pas maintenant, pas sous le regard du photographe. Il ne veut pas, ne peut pas se souiller. Mais c’est déjà trop tard : son étron vigoureux s’est frayé un chemin dans l’intestin bouillonnant du clerc et frappe à la porte de son caleçon. Foutu pour foutu, mieux vaut économiser un tour de pressing : Dupond Moretti se défroque jusqu’aux chevilles, avise un compotier oublié là par Roxanne et se soulage en éructant ;
« C’EST LA VIE D’AVANT ! LA VOILA QUI REVIENT ! TAUBIRAAAAAAAAAA !! »
Du haut de la Grande Roue qui fait aujourd’hui ses premiers tours depuis l’automne, deux jeunes Lillois entendent les grondements et se penchent avec inquiétude, découvrant ministre, photographe, serveuse et terrasse à moitié baignés dans les fèces. C’était donc ça, le monde d’après ?