Lorsqu'on trouve un Livre sans titre dans le fonds ancien d'une bibliothèque, on se dépêche de l'ouvrir. Un tel titre - car c'en est un - aiguise la curiosité. Le voile demande à être levé. Quel terrible secret, quelle compromettante vérité, quelles peintures immorales peut-il bien chercher à recouvrir ? Certes, le truc est ancien et la littérature licencieuse ne s'est pas privée d'y recourir : dresser un paravent invite à passer outre et à regarder qui se déshabille de l'autre côté. Il n'empêche que d'emblée, notre imagination joue avec l'obstacle, reconstitue ce qui est dissimulé, et l'on se délecte d'avance du divertissement promis. C'est là toute l'ambiguïté de ce livre. Car ce livre parle de ça. De ce crime abominable connu pour être «le mal» ou «le vice» dans l'absolu, de ces habitudes «funestes» ou «solitaires», ces «excès» honteux, cet «espèce de suicide», cet «acte contre nature», ce «flétrissement de soi», ce «vice qui nous tue».
Or, ça, c'est la masturbation.
Le Livre sans titre est en effet un petit manuel d'hygiène destiné à lutter contre l'expansion (supposée) de la masturbation chez les jeunes gens au début du XIXe siècle. Il se compose de seize vignettes, qui sont autant de portraits représentant les étapes de la déchéance physique et morale d'un jeune masturbateur. Chaque vignette consiste en une gravure rehaussée de couleurs à la main ; elle est accompagnée d'un bref texte qui souligne les effroyables épisodes qui accompagnent cette chute définitive, de la perte des cheveux au vomissement de sang et des syncopes répétées à la débilité totale. Conformément aux croyances médicales de l'époque, la série se termine par la mort par épuisement du garçon à peine âgé de dix-sept ans.
Formellement, on ne sait à peu près rien du Livre sans titre, sinon qu'il a été publié dans sa version originale en 1830 à Paris, chez le libraire et éditeur Jean-Marie-Vincent Audin. Avec sa double dimension médicale et morale, Le Livre sans titre s'avère conforme aux orientations éditoriales d'Audin. En effet, hormis certains essais patriotiques ou religieux et des guides de voyages qu'il a publiés à titre d'auteur, ce dernier a essentiellement édité des ouvrages d'histoire religieuse et des précis scientifiques (chimie, minéralogie, pharmacie, etc.), parfois sous forme de manuels pédagogiques. Son catalogue comporte également un ouvrage du Dr Rozier, Des Habitudes secrètes ou des maladies secrètes produites par l'onanisme chez la femme (1830), dont il sera question plus loin. Le Livre sans titre a été réédité en 1844 (Paris, L. Maison) et ses gravures parfois recopiées dans d'autres ouvrages, tel l'Antidote moral contre les suites funestes d'un vice impur qui exerce les ravages les plus affreux sur le genre humain (Tournai, 1835), ou le traité sur L'Onanisme publié à Paris en 1836 par un certain Valentin.
Ouvrage anonyme et sans nom d éditeur datant de 1830.