HerculeACNL
2021-05-07 13:48:11
Marlène put se distinguer dans le milieu des allumeuses par un appétit d’ogresse et par l’éclectisme de ses goûts : toutes les couleurs passèrent dans sa couche, des plus foncées aux chairs diaphanes, et ses victimes durent s’astreindre aux pratiques les plus humiliantes pour peu qu’elles procurassent un délicieux plaisir à la dévergondée. Ce fut très tôt le surnom que lui donnèrent ses amies du club, qui goûtaient les bavardages sur ses exploits sexuels, assises sous le kiosque du jardin du Luxembourg où la verdure se parsemait d’arbres vénérables et les ragots de mensonges habiles.
Ces scènes étaient communes à toute les gens de la haute société parisienne, si bien ennuyés par la grande fortune de leur vie qu’ils se fussent convertis à l’hédonisme pour ne pas se livrer au dieu du suicide. Marlène, au tempérament fort singulier, se mit ainsi à croire que l’existence ne valût que par les sens, et se fit envers elle-même le serment de jouir sans entrave. Elle tint cette promesse jusqu’en cet instant, alors que ses seins flétris tombaient sur la poitrine du clandestin malien qu’elle eut ramassé la veille devant la porte cochère de son immeuble haussmannien.
Le bel étalon noir, tout à la fois exténué par l’intense coït dont il fut esclave, et effrayé par le regard brûlant de concupiscence de la sorcière, cherchait à fuir l’endroit. Son orgueil y fut d’abord mis à l’aise, car Mamadou se sentit intensément désiré par Marlène, une blanche très riche, qui l’invita à partager son lit. « Je serai la fierté de mon village » se dit-il, crédule, tandis qu’il répondait positivement aux avances de la femme. Hélas pour lui, ainsi que ses aïeux furent exposés en des temps anciens dans d’atroces cages, crime de lèse-humanité de l’Occident, Mamadou constitua la proie captive de cette débauchée : aveu ironique et final de l’Histoire qui se sait répétée.
À mesure que le Malien put s’approcher de Marlène, il se figura que tout dut l’écoeurer : ses cheveux teints, semblables à l’astrakan et secs comme la paille ; son visage où le maquillage abondant ne parvenait pas à dissimuler les rides sinistres qui le creusaient ; sa peau brunie au soleil dont les tâches de vieillesse le disputaient en laideur avec des grains de dit beauté semés sur tout le corps ; enfin, ses manières affectées de nouvelle bourgeoise qui ne donnaient qu’une allure vulgaire à son attitude. La grande fenêtre à croisillons de la chambre suggéra un plan d’évasion à l’intelligence du Malien, et le péril qu’il y eût à sauter par cette embrasure ne contraria pas sa résolution. Il enjamba le garde-corps en fer forgé, chuta brusquement de l’étage, et se vit partir sur le bitume glacial de Paris. Marlène, habituée au départ précipité de ses amants, décora ses lèvres d’un large sourire : « le pleutre fuit mon appartement comme il fuit son pays », murmura-t-elle, cependant qu’elle s’apprêtait à recevoir un nouvel homme.