Zog_NightmareV2
2021-05-02 01:00:08
Le 12 juillet 1942, la Seconde Guerre mondiale faisait rage en Union soviétique. De vastes territoires dans la partie occidentale de l'URSS étaient sous contrôle allemand, et les efforts soviétiques visant à libérer ces zones des nazis n'avaient pas encore abouti. La 2e Armée de choc du Front Volkhov, dans le cadre d'une tentative visant à fournir une aide pendant le siège de Leningrad, a été encerclée par la Wehrmacht et brutalement vaincue.
Deux semaines plus tard, le chef d’un village local a signalé aux Allemands qu'il avait attrapé un homme suspect, peut-être un résistant, et l'avait enfermé dans une grange. Lorsque des soldats allemands armés de mitrailleuses se sont approchés de la grange, un grand homme à lunettes en est sorti et a dit dans un allemand hésitant : « Ne tirez pas. Je suis le général Vlassov ». C'était un « gros poisson » : Andreï Vlassov dirigeait la 2e armée de choc et avait auparavant combattu héroïquement pour défendre Kiev et Moscou.
Toute cette gloire, cependant, sera annulée et couverte d’opprobre après que Vlassov aura accepté de servir l'Allemagne et de diriger la soi-disant Armée de libération russe (ALR), composée de prisonniers de guerre soviétiques qui s’étaient retournés contre leur propre pays. Aujourd'hui encore, le nom de Vlassov est profondément associé à la trahison. Il est devenu un symbole de collaboration, et ceux qui ont rejoint les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale et collaboré avec l'Allemagne sont communément appelés « Vlassovtsy ». Mais en fait, d’autres citoyens soviétiques et Russes ethniques - pas seulement des membres de l’ALR - ont décidé de coopérer avec les nazis.
Diviser pour régner: quand la propagande nazie tentait d’opposer les ethnies soviétiques
La collaboration soviétique n'est pas, et c’est un euphémisme, un thème de discussion très populaire en Russie. Ceci est probablement lié à l'héritage soviétique de la Russie : « Pendant près de 50 ans, le collaborationnisme a été réduit au silence dans notre pays », note l'historien Sergueï Drobiazko, qui fournit une analyse approfondie de ce phénomène dans son travail « Sous la bannière de l'ennemi : Formations antisoviétiques au sein de la Wehrmacht, 1941-1945 ».
Le simple fait que certains citoyens soviétiques aient préféré Hitler aux autorités soviétiques était trop scandaleux pour être évoqué pendant la période soviétique. Et ce n'était pas uniquement un petit groupe de monstres. « Au total, le nombre de citoyens soviétiques et d'émigrants russes ayant servi dans les rangs de la Wehrmacht, des SS, de la police et des milices pro-allemandes était de près de 1,2 million de personnes (dont 700 000 slaves, 300 000 baltes et jusqu’à 200 000 représentants des peuples turcophones, caucasiens et autres ethnies mineures) », écrit Drobiazko.
Il y a deux choses importantes à retenir ici. Premièrement, cela ne signifie pas que ces 1,2 million de personnes se soient réellement battues armes à la main contre l'Union soviétique. Au contraire, la majorité d'entre elles ont été utilisées comme forces de police, chauffeurs, etc. et/ou n'étaient pas sur le front de l'Est. Deuxièmement, ce nombre est assez faible étant donné que, selon le recensement de 1939, 170 millions de personnes vivaient en URSS avant la guerre. En d'autres termes, la grande majorité du peuple soviétique s'est battue courageusement contre les nazis et est restée fidèle à son pays. Mais il vaut quand même la peine de se demander pourquoi tant de Russes se sont ralliés à l'Allemagne.
Avant la guerre, l'Union soviétique ressemblait à un puissant monolithe géant de couleur rouge, surtout vue de l'extérieur, mais elle avait en fait de gros problèmes internes. Certains n'étaient pas satisfaits du pouvoir des bolcheviks, surtout à la lumière des répressions brutales qui ont eu lieu sous Joseph Staline. De plus, la guerre a commencé de façon catastrophique : pendant l'été et l'automne 1941, les nazis ont occupé de vastes territoires et ont avancé vers Moscou. Beaucoup se sont demandé s'il serait possible de riposter.
« Les défaites catastrophiques subies par l'Armée rouge durant l'été-automne 1941 ont inondé les gens de pensées concernant le mauvais leadership du pays, l'incapacité des autorités soviétiques à contrôler la situation et leur ont même insufflé des idées de trahison. De plus, la guerre a mis à nu les contradictions dont souffrait la société soviétique », note Drobiazko. Il nuance cependant en ajoutant que « tous ceux qui avaient souffert du régime de Staline, loin de là, n’ont pas profité de ce moment où le pays était en grand danger pour se retourner contre leur patrie ».
Oleg Boudnitski, directeur du Centre international d'histoire et de sociologie de la Seconde Guerre mondiale, souligne les choix difficiles auxquels ont été confrontés de nombreux collaborateurs : « La plupart [des Soviétiques qui ont combattu pour l'Allemagne] sont devenus les collaborateurs nazis en raison des circonstances… Dans une situation critique, ils ont choisi une option qu'ils considéraient comme un moindre mal ou qui tout simplement pouvait leur sauver la vie ». Les autorités soviétiques n'ont pas vraiment contribué à faciliter les choses. Dès le début de la guerre, les prisonniers de guerre soviétiques ont été traités avec suspicion et considérés comme des traîtres potentiels. Cela a encouragé certains d'entre eux à devenir effectivement des traîtres.
Dans le même temps, note Boudnitski, seules un pour cent de personnes profondément opposées aux bolcheviks ont lutté contre l'URSS pour des raisons idéologiques. Il s’agissait principalement d’émigrés de l'Armée blanche ayant dû quitter la Russie après la victoire des Rouges (bien que là encore, seule une petite partie d’entre eux se soient rangés du côté des nazis) et d’habitants de territoires que l'URSS avait annexés avant la Seconde Guerre mondiale : les anciens États baltes indépendants et les régions de l’Ukraine occidentale et de la Biélorussie occidentale qui faisaient partie de la Pologne.
Si le Troisième Reich avait profité pleinement des personnes désireuses de lutter contre l'URSS, cela aurait considérablement augmenté ses chances d’obtenir la victoire. « La résistance des soldats de l'Armée rouge sera brisée le jour où ils se rendront compte que l'Allemagne leur apportera une vie meilleure que les Soviétiques », a déclaré Otto Bräutigam, fonctionnaire allemand au sein du ministère des Territoires occupés, en 1942.
L'idée de recourir au thème de la « Russie sans communistes » pour convaincre la population locale était populaire parmi certains responsables du Reich. Heureusement pour Moscou, l'entêtement d'Hitler a étouffé cette idée dans l'œuf : il n'a même pas voulu entendre parler d'un État russe, aussi anticommuniste ou loyal fût-il. Sa doctrine exigeait de détruire non seulement l'URSS, mais aussi la notion même d'État russe, en capturant tout son lebensraum (espace vital) en cours de route. « La chose la plus stupide à faire dans les territoires orientaux occupés est de donner une arme aux nations occupées », a insisté Hitler.
C'est pourquoi, jusqu'à ce que les nazis ne fussent absolument désespérés en 1944, ils n'utilisaient les Russes pro-allemands, y compris Vlassov et l’ALR, que comme outil de propagande. Ils « bombardaient » volontiers l'Armée rouge de tracts les exhortant à se rebeller, mais refusaient de donner à Vlassov une véritable armée à commander. Une autre formation russe au sein de la Wehrmacht, le Corps de protection russe, a été utilisée en Yougoslavie pour lutter contre les résistants locaux en 1942-1944, mais Hitler ne faisait pas suffisamment confiance aux Russes pour les laisser lutter contre l'URSS elle-même.
Tout cela n'a changé qu'en septembre 1944, alors que l'Armée rouge approchait de l'Allemagne. À ce moment-là, les nazis étaient assez désespérés pour utiliser tout ce qui se présentait afin de sauver leur empire en plein effondrement. Heinrich Himmler lui-même a rencontré Andreï Vlassov et a approuvé la création du « Comité pour la libération des peuples de Russie » assorti de forces militaires qui devaient être placées sous le commandement de Vlassov. Les forces militaires comprenaient environ 50 000 hommes.
Ils se sont battus contre l'Armée rouge pendant seulement trois mois, de février à avril 1945. Comme vous pouvez le deviner, ils n'ont pas rencontré beaucoup de succès. L'Allemagne nazie était déjà condamnée à ce stade. Après sa défaite, Vlassov et tous ses commandants ont été capturés par les Soviétiques et rapidement jugés, exécutés et oubliés.
« À mon avis, il ne peut y avoir aucune excuse pour ceux qui ont aidé les nazis, quels que soient leurs motifs », explique Oleg Boudnitski. Bien sûr, le régime bolchevique était terrible et inhumain, mais le nazisme, que ces gens ont servi, était un mal absolu ».