Le 24 avril 2021 à 12:04:50 Alcaloid a écrit :
Mercredi 14 avril, la Cour de cassation confirmait la décision d’irresponsabilité pénale concernant le meurtrier de Sarah Halimi, une retraitée parisienne de confession juive, torturée et défenestrée en 2017. Dimanche 18 avril, la cour d’assises de Paris a condamné en appel cinq jeunes à des peines allant de six ans à dix-huit ans de réclusion criminelle pour leur rôle dans l’attaque de policiers brûlés dans leur voiture à Viry-Châtillon (Essonne) en 2016, et a prononcé huit acquittements.
Ces deux décisions ont provoqué un vent de protestations d’une rare violence. Figure emblématique de la justice antiterroriste, François Molins, désormais procureur général près la Cour de cassation dénonce une « instrumentalisation des décisions de justice à des fins bien éloignées de l’intérêt général ».
Des personnalités affirment, après la décision dans l’affaire de Viry-Châtillon, que la justice ne protège pas assez les policiers, et dans celle de Sarah Halimi, qu’elle accorde un permis de tuer des juifs. Que pensez-vous de tels propos ?
Evidemment que la justice ne délivre aucun permis de tuer ! Et c’est aussi triste qu’alarmant de devoir le rappeler. Des propos très graves et très inquiétants sont tenus en ce moment. Venir dire que la Cour de cassation, par la décision rendue dans l’affaire du meurtre de Sarah Halimi, a donné un permis de tuer les juifs en France est insupportable et particulièrement outrageant pour les magistrats qui ont rendu cette décision.
Pourquoi la décision dans l’affaire Halimi aurait-elle été si mal comprise ?
Il ne vient à l’idée de personne de minimiser l’atrocité des faits commis. Je partage l’émotion que ce drame a pu susciter et comprends la colère légitime de la famille de la victime.
Il est néanmoins essentiel aujourd’hui d’essayer de faire comprendre pourquoi la décision rendue l’a été conformément à la règle de droit. L’Etat de droit a pour objet d’éviter l’arbitraire. Cela impose qu’une infraction soit prévue par la loi avant la commission du fait, tout comme la peine encourue. Il en est de même concernant les conditions de la responsabilité pénale. Ce principe a valeur constitutionnelle.
Aujourd’hui, l’article 122-1 du code pénal pose un principe clair : toute personne dont le discernement est aboli au moment de la commission des faits est irresponsable pénalement, quelle que soit la raison de l’abolition du discernement.
L’office du juge de cassation est de juger en droit. Si la Cour de cassation peut interpréter la loi dans le silence de celle-ci, elle ne peut le faire que dans des limites strictes qui ne peuvent jamais aller jusqu’à se substituer au législateur et modifier la norme. La loi pénale – tout particulièrement la question de la responsabilité pénale – ne peut s’interpréter que de façon très stricte afin d’éviter tout arbitraire ou tout risque de « gouvernement des juges » si décrié parfois…
L’émotion suscitée par cette décision révèle sans doute que la loi n’est pas adaptée et qu’il est des situations qui n’ont pas été prises en compte par le législateur. Le gouvernement a annoncé qu’il allait envisager une modification législative. Néanmoins il faudra veiller à ne pas légiférer dans l’urgence et sous le coup de l’émotion. La question de la responsabilité pénale est une question des plus délicates et il ne faut pas oublier que le fait de ne pas juger les « fous » a été un progrès majeur dans notre démocratie.
Comment un crime peut-il être à la fois considéré comme antisémite, mais perpétré par un auteur dont le discernement était aboli ?
Ce point est effectivement délicat à comprendre, mais il est explicable juridiquement et a d’ailleurs été parfaitement expliqué par l’avocate générale dans son avis. Il est public et j’invite chacun à prendre le temps de le lire.
Depuis une réforme de 2008, les juges se prononcent d’abord sur l’existence de l’infraction et son imputabilité à l’auteur, ce qui implique que l’infraction soit qualifiée au regard des éléments de contexte et donc des éventuelles circonstances aggravantes. Il s’agit en quelque sorte, pour les juges, de déterminer comment auraient été qualifiés les faits s’ils avaient été commis par une personne dont le discernement n’avait pas été aboli. Ensuite, une fois le crime exactement qualifié et imputé à l’auteur, les juges se prononcent, dans un second temps, sur la question de la responsabilité pénale de ce dernier.
Merci khey.