sapolerie
2021-04-11 21:45:09
On se mit soudain à courir dans la rue. Une voix haletante cria : "Au feu !"
"Où ça ?"
Les gamins disparurent de dessus les marches d'en face. Thatcher revint dans la chambre. Il faisait une chaleur suffocante. Il avait une envie folle de sortir. Je devrais aller me coucher. Il entendit le piétinement de sabots et la sonnerie forcenée d'une pompe à incendie qui dévalait dans la rue. Je ne ferai qu'aller et venir. Il descendit les escaliers, son chapeau à la main.
"De quel côté ?
- Le premier block, en descendant.
- C'est une maison de locataires."
C'était une maison de dix étages, à fenêtres étroites. On achevait de placer les échelles. De la fumée brune, zébrée de petites traînées d'étincelles, sortait en abondance des fenêtres inférieures. Trois policemen balançaient leurs bâtons en repoussant la foule contre les marches et les rampes des maisons d'en face. Dans l'espace vide, au milieu de la rue, la pompe et la voiture rouge qui portait les manches à eau étincelaient de tous leurs cuivres. La foule regardait, silencieuse, les yeux levés vers les fenêtres supérieures où des ombres s'agitaient et où brillaient des lueurs fugitives. Une mince colonne de flammes se mit à éclairer au-dessus des maisons, comme une chandelle romaine.
"Le puits d'aération", chuchota un homme à l'oreille de Thatcher.
Un coup de vent emplit la rue de fumée et d'une odeur d'étoffes brûlées. Thatcher se sentit soudain indisposé. Quand la fumée se dissipa, il vit des gens qui, agrippés les uns aux autres, pendus par les mains au rebord d'une fenêtre, se donnaient des coups de pied. De l'autre côté, des pompiers aidaient des femmes à descendre une échelle. La flamme, au centre de la maison, brillait plus vive. Quelque chose de noir était tombé d'une fenêtre et gisait, hurlant, sur le pavé. Les agents faisaient reculer la foule de chaque côté du block. De nouvelles pompes arrivaient.
"Il y a cinq signaux d'alarme dans la maison, dit un homme. Que dites-vous de cela ? Tous ceux des deux étages supérieurs ont été bloqués. C'est un incendiaire qui a fait cela, un sale bougre d'incendiaire."
Un jeune homme était assis, anéanti, sur le bord du trottoir près du réverbère. Thatcher, poussé par la foule, se trouva près de lui.
"C'est un Italien.
- Sa femme est dans la maison.
- Les flics ne veulent pas le laisser approcher. Sa femme attend un enfant. Il ne peut pas parler anglais pour demander aux flics."
L'homme portait des bretelles bleues, attachées par-derrière avec un morceau de ficelle. Son dos se soulevait et, de temps à autre, il proférait des grognements que personne ne comprenait.
Thatcher se frayait un chemin dans la foule. Au coin de la rue un homme examinait la boîte du signal d'incendie. Quand Thatcher le frôla, il sentit une odeur de pétrole sur les vêtements de l'homme. L'homme le regarda en face, en souriant. Il avait des joues graisseuses, tombantes, et des yeux brillants, à fleur de tête. Thatcher sentit ses pieds et ses mains se refroidir subitement. L'incendiaire ! Les journaux disaient qu'ils rôdent comme ça pour voir. Il rentra vite chez lui, monta en courant et verrouilla la porte derrière lui. La chambre était tranquille et vide. Il avait oublié que Susie ne serait pas là pour l'attendre. Il commença à se déshabiller. Il ne pouvait oublier l'odeur de pétrole sur les vêtements de l'homme.