FumeurDeGueuses
2021-04-01 23:48:34
En ces temps difficiles, où l'homme brille plus par sa cuistrerie que par son humilité, il ne m'a jamais été aussi facile de paraître parfait aux yeux d'une femme.
Loin d'être une référence esthétique, j'ai cultivé d'autres qualités, bien plus importantes qu'un visage symétrique ou un corps taillé dans le marbre.
Il me suffit d'être à l'écoute pour obtenir le dévouement total et sans faille d'une fille qui ne sera qu'un sujet de plus dans ma grande expérience sentimentale.
A chacune de nos conversations épistolaires modernes, je note sur un mémo chaque détail qui me paraît important : le nom de son chien, sa situation familiale, son artiste musical préféré, ses projets professionnels, toutes ces conneries dont je me fous allègrement, mais qui représentent des moyens d'asservir celle à qui elles appartiennent.
Je n'ai plus qu'à restituer cet ersatz de curriculum vitæ lors d'une rencontre autour d'un verre pour m'attirer ses faveurs.
Elle se met à parler musique, je lui réponds par son artiste favori, et je vais jusqu'à lui faire découvrir des morceaux de ce dernier qu'elle serait susceptible de ne pas connaître.
Je lui demande comment avance son projet pro, en entrant dans les détails un peu techniques, synonymes d'une recherche accrue en amont.
Là, elle sourit bêtement en pensant que je suis attentif à ce qu'elle me raconte, et réellement intéressé par ce qu'elle fait pour m'être renseigné sur le sujet.
Elle me sent passionné par elle, sa personnalité, ce qu'elle pense, ce qu'elle ressent, et pas simplement par les deux obus mammaires qui me titillent du regard depuis une bonne heure déjà.
Je ne cherche pas à coucher avec elle dès le premier soir.
Je me contente de l'embrasser, d'effleurer délicatement son visage, de descendre subtilement une main le long de sa hanche, feignant de vouloir tâter la fermeté de ses fesses, remontant aussitôt vers son visage, la fixant de mes yeux sombres et mystérieux.
Mon désir doit être palpable, pour que mon abstinence revête une forme presque divine.
Je veux créer la confusion dans son esprit, qu'elle ne sache à aucun moment ce que je veux d'elle.
Je veux la rendre suffisamment curieuse pour qu'elle prenne le risque de se confier un peu plus, d'abandonner son âme et son salut dans le creux de mes mains, moi, le parfait inconnu entré dans sa vie quelques jours plus tôt.
Je ne parle presque pas de moi, je lui pose beaucoup de questions.
Mon intérêt est perceptible dans chacun de mes mots, le sien dans chacun de ses regards.
J'utilise ma verve avec éloquence pour pouvoir utiliser ma verge avec résonance.
Là encore, quand vient le moment charnel tant attendu, je continue de faire preuve d'abnégation.
Mon plaisir est le sien, et chacun de mes sens est en éveil pour déceler la mélodie sexuelle qui la fera vibrer.
Je lui parle comme elle le rêvait, je la baise comme elle le rêvait.
En deux soirs, elle est déjà toute à moi.
Je continue mon simulacre encore quelques semaines, le temps de trouver un autre cobaye pour continuer l'expérience, puis je prends mes distances.
Je me rends moins disponible, plus taciturne.
Elle sent que je lui échappe, sans en comprendre la raison.
Sa curiosité l'a entraînée trop profondément dans le terrier du lapin blanc pour faire machine arrière.
Elle cherche à savoir, à comprendre, mais je reste évasif, distant.
Et là c'est le drame, la conclusion tant attendue à cette pièce théâtrale mélodramatique.
Elle m'aime, me dit-elle, d'un amour si fort et si pur, qu'elle n'a jamais ressenti ça auparavant.
Je lui propose de se voir.
Pour moi, ce sera un ultime adieu.
Pour elle, l'occasion de me chérir aussi fort qu'elle le peut pour me garder auprès d'elle.
Devant mon visage impassible, elle finit par fondre en larmes.
Et c'est là l'étape la plus difficile de l'expérience, contenir ce plaisir immense de la voir à genoux devant moi, désarmée, nue, implorant un amour que je n'avais jamais prévu de lui accorder.
Je prononce une phrase feignant la tristesse, m'excusant pour la peine que je lui ai causée, lui assurant que ce n'est pas ce que je désirais, loin de là.
Puis je rentre chez moi, convenant déjà d'un rendez vous avec la nouvelle prétendante.
Je recevrai un message tard dans la nuit, celui d'une victime remerciant son bourreau pour le voyage paradisiaque qu'il lui aura offert, sans jamais se rendre compte que tout cela n'était qu'une illusion.
Elle pensait être une fin, elle n'était qu'un moyen. Un joli moyen malgré tout.