CharlesTombeur4
2021-03-31 12:54:05
Cette affirmation est totalement fausse. Le but de Napoléon III en s’engageant dans la guerre de Crimée était d'une part de protéger les intérêts français en Orient, et d'autre part de remettre en cause l’ordre européen institué par les traités de Vienne afin de le remplacer par un nouvel ordre plus favorable à la France.
En effet la France, tout comme l’Angleterre, avait des intérêts en Orient (la construction du canal de Suez sous le Second Empire en sera l'expression la plus visible au XIXe) et surtout au sein de l'Empire Ottoman. Depuis les capitulations passées entre François Ier et Soliman en 1535, la France exerçait une influence prépondérante au sein de l'Empire ottoman. Cette influence ne concernait pas que les lieux saints et la protection des catholiques d'Orient, elle était aussi politique et surtout commerciale (rappelons que le commerce Levantin était essentiel pour la France et que les maisons de commerce françaises étaient solidement installées dans les Échelles du Levant et à Salonique).
La France souhaitait donc conserver sa sphère d'influence dans la région, d'autant plus que Napoléon III voulait faire de la Méditerranée un "lac français". Il est donc normal que la France s'oppose aux visées hégémoniques de la Russie vis-à-vis de l'empire ottoman. « Le jour où la Méditerranée serait partagée entre la Russie et l'Angleterre, la France ne compterait plus parmi les Grandes Puissances » a écrit fort justement Viel-Castel.
C'est d'ailleurs Napoléon III qui pousse pour aller à l’affrontement, et non l'Angleterre qui ne commence à s’inquiéter de cette question que tardivement. La France n'est donc pas du tout à la remorque de l'Angleterre, c'est presque le contraire. C'est en effet Napoléon III qui engage la première action d'ordre militaire (le 23 mars 1853 il envoie une flotte française dans la baie de Salamine) tandis que le cabinet de Lord Aberdeen penche plutôt pour la modération avec la Russie au début.
Ensuite le grand perdant de la guerre de Crimée, c'est l'Autriche. Pourquoi? Car François-Joseph décide d'adopter une neutralité malveillante vis-à-vis de la Russie (ce qui oblige Nicolas Ier à mobiliser des troupes près des frontières autrichiennes) alors que la Russie avait aidé l'Autriche à écraser l'insurrection hongroise de 1848-1849. Cette décision de François-Joseph est vécue comme une véritable trahison par Nicolas Ier, qui considérait le jeune empereur d'Autriche comme un fils. Il se disait même à l'époque que c'est l’attitude de François-Joseph qui a causé la mort du Tsar en 1855. Dans tous les cas cela suffit à faire voler en éclats la Sainte-Alliance, de l’ordre de Vienne. Désormais une méfiance mutuelle régnera entre l'Autriche et la Russie, et même le système diplomatique bismarckien ne parviendra pas à la dissiper.
De plus l'Autriche est complètement discréditée en Europe, on estime qu'elle n'est pas fiable avec ses alliés. Napoléon III a désormais les mains libres pour mener sa politique des nationalités et refonder un ordre européen favorable à la France. C'est grâce à la guerre de Crimée que Napoléon III peut bénéficier de la neutralité bienveillante de la Russie et chasser les Autrichiens de Lombardie. Par ailleurs c’est Napoléon III qui fait en sorte que le Piémont-Sardaigne participe à la guerre de Crimée, afin de pouvoir aborder la question italienne au congrès de Paix, ce qui montre bien que l’objectif premier de la guerre de Crimée, pour l’Empereur, c’est de modifier l’ordre européen.
Enfin, contrairement à une idée reçue, ce n'est pas la guerre de Crimée qui a éloigné la Russie de la France. Au contraire. La mort de Nicolas Ier pendant le conflit (défenseur acharné de l'Europe de Vienne, il s’estimait le gendarme de l’Europe), l'attitude clémente de Napoléon III vis-à-vis de la Russie au congrès de Paris de 1856, et le remplacement de Nesselrode (un défenseur de la Sainte-Alliance) par Gortchakov (favorable à l'alliance avec la France) au ministère des affaires étrangères russe permettent un rapprochement de la France avec la Russie de 1856 à 1863. Dans sa biographie sur Alexandre II c'est ce qu'Hélène Carrère d'Encausse appelle le "moment français ou "l'instant français".
La guerre de Crimée est donc un beau coup diplomatique, au congrès de Paris de 1856 la France apparaît comme l'arbitre de l'Europe. Le problème c'est que Napoléon III n'a pas su exploiter ce succès. En effet son "soutien" à la révolution polonaise de 1863 met brutalement fin au rapprochement franco-russe, tandis que Bismarck profite de l'occasion pour soutenir la Russie dans la répression des révolutionnaires polonais ( avec la convention d'Alvensleben). C'est à partir de ce moment qu'Alexandre II se rapproche considérablement de la Prusse (outre qu'Alexandre II était un prussophile, ce qui est assez courant au sein des empereurs de Russie d'ailleurs).
En matière de politique étrangère, l’erreur majeure de Napoléon III c’est de ne pas avoir soutenu l’Autriche pendant la guerre de 1866.
Références:
La guerre de Crimée 1853-1856, Alain Gouttman.
L’Europe au XIXe siècle, Jean-Claude Caron et Michel Vernus
François-Joseph, Jean-Paul Bled
Alexandre II: le printemps de la Russie, Hélène Carrère d'Encausse