Yadjinn
2021-03-22 20:59:19
Après une dure matinée de cours en distanciel pendant lequel je n'attendais que l'heure du déjeuner afin de me remplir la panse, je décidai, ignorant les recommandations de mes camarades et parents qui me suppliaient de mieux me restaurer, de descendre au kebab d'en bas de chez moi afin de commander l'un de ces délicieux mets turcs adaptés aux réalités françaises.https://image.noelshack.com/fichiers/2018/19/6/1526144926-shelby-dz.png
Devant le chef, que j'appelle avec humour "la famille", alors qu'en réalité nous n'avons élevé ni les cochons, ni quoi que ce soit ensemble, je lui glisse un petit clin d'oeil amical pour lui faire comprendre que je souhaitais commander le fameux kebab "comme d'habitude", c'est à dire :
Un pain rond, des oignons pour le goût, de la salade pour la fraîcheur, de la viande, une combinaison harmonieuse et unilatéralement répartie de sauces barbecue et algérienne, mais surtout, et j'insiste bien sur le surtout, pas de tomates.
Ce fruit - ou ce légume, on ne sait pas trop tant ni l'une ni l'autre de ces catégories ne souhaite l'accepter en son sein -, ce non-aliment à la couleur aussi rouge que les enfers et au goût immonde, a en effet la fâcheuse tendance à se transformer en flotte une fois intégré dans mon kebab : salade ramollie, viande refroidie, oignons peu croquants, sauces atténuées, j'en passe des meilleures. Bref, la tomate dans les kebabs est un non-lieu pour moi.https://image.noelshack.com/fichiers/2018/19/6/1526144926-shelby-dz.png
Le chef, un Turc, probablement âgé de 50 ans, la bedaine bonne et le sourire en coin, acquiesce et me fait comprendre que je suis un client fidèle : il se souvient de mes préférences et part illico presto servir le client qui, je le rappelle, est roi. Pendant la cuisson de la viande, ce dernier va même jusqu'à me parler de ses filles sans aucune pudeur : serais-je un candidat potentiel ? je ne sais pas, et je ne veux pas le savoir. Le kebab est prêt, les frites sont chaudes et l'Oasis est frais : ni une, ni deux, je remonte les 6 étages de mon immeuble haussmanien et m'apprête à grailler de fond en comble la nourriture divine du patrimoine culturel ottoman.https://image.noelshack.com/fichiers/2018/19/6/1526144926-shelby-dz.png
Un premier croc est tapé, et le savoureux mélange saucé des cultures maghrébines et américaines passe comme une lettre la poste. A deux doigts de laisser un avis positif à ce kebabier que je respectais au plus haut point, j'observai un détail intriguant : un élément rouge inconnu au bataillon pointait le bout de son nez et semblait s'étirer à l'intérieur de mon sandwich méridien. Connu pour mon flair de bête sauvage, j'approchai mon nez pas encore affecté par le Covid et le résultat fut sans appel.
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POURQUOI ? POURQUOI FALLAIT-IL QU'APRES TANT D'ANNEES DE BONS ET LOYAUX SERVICES AUPRES DE TON ECHOPPE, TU ME SANCTIONNES D'UN IMMONDICE AUSSI IMMANGEABLE COMME SI A TES YEUX JE N'ETAIS QU'UN LAMBDA, LE FOND DU PANIER, LE MOINS-QUE RIEN ?
SAIS-TU QUI JE SUIS, KEBABIER ?
LE SAIS-TU SEULEMENT ?
AS-TU UNE IDEE DE LA DOULEUR QUE J'AI EPROUVE LORSQU'IL FALLUT QUE JE SECTIONNE LE SANDWICH GOULUMENT ASPERGE DE SAUCES POUR Y EXTIRPER LA TOMATE DEJA LIQUIDIFIEE AU MILIEU DES CONDIMENTS REFROIDIS ET DE LA VIANDE TOMBEE A MOITIE DANS LA BARQUETTE ?
Mes doigts remplis de sauces n'en pouvaient plus, et alors que je vomissai des injures et des prières en faveur de la récupération de Constantinople, je ne souhaitais qu'une chose : Avoir le Covid pour manger ce kebab démonisé en toute sérénité.https://image.noelshack.com/fichiers/2018/19/6/1526144926-shelby-dz.png