En outre, la peine est, par rapport à la faute, comme la récompense par rapport au mérite. Mais selon la justice divine, un mérite temporel a droit à une récompense éternelle. Saint Jean : "Tout homme qui voit le Fils et croit en lui, possède la vie éternelle." La faute temporelle mérite donc, selon la justice divine, une peine éternelle.
De plus, selon Aristote, la peine est mesurée à la dignité de celui qui est offensé : on punit d’un plus grand châtiment celui qui gifle un prince que celui qui gifle un autre homme. Or, celui qui commet un péché mortel pèche contre Dieu, en transgressant ses préceptes, et en adressant à un autre l’honneur qui lui est dû, puisqu’il met sa fin en cet autre. La majesté de Dieu est infinie. Tout être qui pèche mortellement est donc digne d’une peine infinie. Il semble donc juste que pour un péché mortel quelqu’un soit châtié perpétuellement,
Conclusion :
Une peine peut être évaluée quantitativement selon sa rigueur, ou selon sa durée. La quantité du châtiment correspond à celle de la faute, selon l’intensité de sa malice, de telle sorte que si quelqu’un a péché plus gravement on lui impose une punition plus grave. L’Apocalypse dit : "Plus il s’est glorifié et a vécu dans les délices, plus vous lui procurerez de torture et de tristesse." La durée de la peine ne correspond pas à celle de la faute, comme dit saint Augustin. C’est ainsi que l’adultère, accompli en un instant, n’est point puni par une peine brève, même selon les lois humaines. La durée de la peine correspond à la disposition du pécheur. Parfois, en effet, celui qui commet une faute dans une ville, est, à cause de cette faute, rendu digne d’être arraché à la communauté des citoyens, par l’exil perpétuel ou même par la mort. D’autres fois, il n’est pas devenu digne d’être totalement exclu de la société de la cité, et alors, pour qu’il puisse redevenir digne membre de cette ville, on prolonge son châtiment, ou on l’abrège, autant que cela est nécessaire pour sa correction, afin qu’il puisse désormais vivre en cette ville d’une manière décente et pacifique.
De même, selon la justice divine, quelqu’un se rend par le péché digne d’être totalement séparé de la communauté de la cité de Dieu cela se réalise dans le péché contre la charité, qui est le lien qui unit cette cité. C’est pourquoi, à cause du péché mortel, qui est contraire la charité, quelqu’un est, pour l’éternité, frappé de la peine de l’exclusion définitive de la société des saints. Comme dit saint Augustin : "Les hommes sont enlevés à cette ville mortelle par le supplice de la première mort ; et ils sont enlevés à la ville immortelle par le supplice de la seconde mort."
Le fait que le châtiment infligé par la cité de la terre n’est pas perpétuel provient de quelque chose d’accidentel, ou bien de ce que l’homme ne vit pas perpétuellement, ou bien de ce que la cité elle-même disparaît. Mais si l’homme vivait perpétuellement sur terre, la peine de l’exil ou de l’esclavage qui lui est imposée par la loi humaine, lui resterait perpétuellement. Ceux qui pèchent de telle sorte que cependant ils ne sont point devenus dignes d’être totalement séparés de la communauté de la cité saint e, comme sont ceux qui pèchent seulement véniellement, subiront une peine plus brève ou plus longue, selon qu’ils ont besoin d’être plus ou moins purifiés, c’est-à-dire selon que leurs péchés ont plus ou moins pénétré en eux. C’est ce qui se réalise, selon la justice divine, dans les peines de ce monde ou du purgatoire.
Les saints indiquent aussi d’autres motifs pour lesquels, à cause d’un péché seulement temporel, certains subissent une peine perpétuelle. L’un de ces motifs est qu’ils ont péché contre un bien éternel, en méprisant la vie éternelle. Saint Augustin dit à ce propos "Il s’est rendu digne d’un mal éternel celui qui détruit en lui-même un bien qui pouvait être éternel." Un autre motif est qu’un homme a péché d’une manière perpétuelle. Saint Grégoire dit "Il appartient à la grande justice du juge, que jamais ne cesse le supplice de ceux qui, en cette vie, n’ont jamais voulu faire cesser leur péché."
Et sj l’on objecte que certains hommes, en péchant mortellement, se proposent d’améliorer leur vie plus tard, et ne seraient donc pas dignes d’un supplice éternel, nous devons dire que, selon certains, saint Grégoire parle d’une volonté qui se manifeste par une œuvre. En effet, celui qui tombe dans le péché mortel, par sa volonté propre, se met dans un état dont il ne peut sortir qu’avec l’aide de Dieu. Donc, par le fait même qu’il veut commettre ce péché, il veut y demeurer perpétuellement L’homme en effet est "l’esprit qui s’en va vers le péché, et qui n’en revient point" par lui-même. Si quelqu’un se jetait dans une fosse dont il ne pourrait pas sortir sans aide, on pourrait dire qu’il a voulu y demeurer pour l’éternité, même s’il pensait autre chose. On peut aussi dire, et mieux encore, que par le fait même qu’il a péché mortellement, l’homme met sa fin dans la créature. Et puisque toute la vie est ordonnée à la fin qu’on lui donne, par le fait même, cet homme ordonne toute sa vie à ce péché et il voudrait demeurer perpétuellement dans ce péché s’il le pouvait impunément. C’est ce que dit saint Grégoire, à propos de ce passage de Job "Il verra l’abîme vieillir" : "Les pervers ont péché avec un terme parce que leur vie a eu un terme ; mais ils auraient voulu vivre sans terme afin de pouvoir demeurer sans terme dans leurs iniquités ; en effet ils désirent plus pécher que vivre."
On pourrait encore apporter un autre motif de l’éternité de la faute mortelle : c’est que par elle on pèche contre Dieu, qui est infini. Puisque le châtiment ne peut être infini en intensité, la créature n’étant pas capable d’une qualité infinie, il doit l’être au moins par une durée infinie.
Il y a encore un quatrième motif : la peine demeure éternellement, parce que la faute ne peut être effacée sans la grâce et l’homme ne peut plus acquérir la grâce après sa mort. La peine ne doit plus cesser tant que la faute demeure. http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/sommes/7supplementreginald.htm#_Toc426117874