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2021-03-07 23:20:57
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Mardi 5 janvier 2021, les twittos se réveillent. Ce matin sur le réseau social à l’oiseau bleu, on parle vaccination, rentrée scolaire… et Dubaï. La ville des Émirats arabes unis (E.A.U.) a fait le buzz durant la nuit. Mais ce sont des Français qui sont au centre de l’attention. Des influenceurs de téléréalité.
Quelques heures plus tôt, Jazz et Laurent Correia, personnages de la « JLC family » une émission diffusée sur TFX, ont été au cœur d’une empoignade avec des touristes français dans une boîte de nuit. Les vidéos de l’incident inondent le réseau social. Elles sont confuses. On y voit une bousculade, on parle de bagarre. Difficile de comprendre ce qu’il s’est vraiment passé.
« Dubaï c’est devenu Châtelet », s’amuse un internaute. Jazz répond le lendemain dans une story postée sur son compte Snapchat. Elle tente de calmer le jeu, assure que ce n’est « pas le drame du siècle ». Mais le mal est fait.
La chasse aux lieux photographiés par les influenceurs
« Cela fait sept ans que je vis à Dubaï et je n’ai jamais vu une seule bagarre nulle part », souffle Fouad, ingénieur financier français de 29 ans. Pour la communauté des expatriés français, la coupe est pleine. L’arrivée des influenceurs fait grincer des dents dans la tranquille vitrine des E.A.U.
« Depuis qu’ils sont là, ils ont terni l’image de la ville, se désole Fouad. Les expats comparent un peu ça à Phuket. » La ville de Thaïlande est devenue ces dernières années le repère des jeunes banlieusards, attirés par l’ambiance festive. Les résidents français de plus longue date refusent que la même chose arrive à Dubaï. Dès qu’on interroge un expat’ sur la question, il lève les yeux au ciel. « Le problème, ce n’est pas forcément les influenceurs, mais les gens qu’ils ont attirés », lâche Fouad.
L’arrivée des influenceurs fait grincer des dents dans la tranquille vitrine des E.A.U.
La popularité de Dubaï a explosé il y a un an. C’est à cette époque que le petit monde de la téléréalité s’exporte au Moyen-Orient. Fouad a vite été inondé de messages d’amis voulant connaître les lieux où les starlettes des réseaux sociaux passaient leurs journées. « On m’envoyait des captures d’écran de restaurants, de beach clubs… Les gens voulaient y aller aussi, raconte le jeune homme. J’en ai tellement reçu que j’ai fini par demander à ma femme ce qu’il se passait. Je ne connaissais pas tous ces gens et j’étais surpris de voir à quel point ils pouvaient avoir de l’influence. »
Même constat sur le groupe Facebook « Dubaï tourisme » où 35 000 Français s’échangent des bons plans sur la ville. « Il arrive que nos membres nous demandent où se trouvent certains endroits qu’ils ont aperçus dans des storys : un zoo privé, un roof top, un endroit dans le désert… énumère Nabil, à l’origine du groupe. On met parfois les touristes en garde parce que les tarifs de certaines de ces activités ne sont pas adaptés à tous les portefeuilles. »
De nouveaux touristes affluent
L’image tape-à-l’œil de Dubaï véhiculée par les influenceurs agace. « C’est toujours un peu cliché. Tout ce qu’ils montrent est très bling-bling alors que la plupart des gens qui vivent ici n’ont pas la même vie », souffle une jeune expatriée. « Ils ne montrent qu’une seule facette de la ville, mais elle est bien plus complexe que ça », tacle celle qui s’étonne encore de croiser aussi bien des « Russes en mini-shorts que des femmes en burqa ».
Le phénomène prend une ampleur démesurée fin 2020. Privés de voyages à cause de la crise du Covid-19, un grand nombre de touristes se rabattent sur Dubaï, son beau temps et ses restaurants ouverts. L’Europe vient se prendre en photo sur les plages de sable fin. « Il était impossible de réserver une table dans un restaurant ou une chambre dans un hôtel. Tout était plein », se souvient Fouad.
Des bandes de jeunes français, fascinés par les storys de leurs influenceurs préférés, achètent aussi leur billet d’avion. L’ambiance bascule. « Ces nouveaux touristes ne respectaient pas forcément les règles de distanciation sociale, ne portaient pas le masque, note Amel Talks, youtubeuse française installée à Dubaï depuis quatre ans. Ça a fait pas mal de bruit. »
Pour de nombreux expatriés, les influenceurs ne montrent qu’une seule facette de la ville, trop bling-bling.
Les incidents se multiplient. Deux Français sont arrêtés pour vol d’argent et placés en garde à vue. « Une fille s’est fait prendre en photo seins nus dans le désert et a posté le cliché sur les réseaux. Ça a beaucoup choqué ici, c’est quand même un pays musulman », regrette Fouad.
Plusieurs bagarres éclatent, une devant un hôtel, une autre dans une boîte de nuit. Des Français sont impliqués à chaque fois. Du jamais-vu à Dubaï, dont les habitués savent qu’ils risquent de lourdes peines s’ils transgressent les règles. Les locaux sont choqués par ces comportements, auxquels ils trouvent vite un surnom : le « French bad ». La tension monte. « Les loueurs de voitures de luxe ne supportaient plus les touristes français. Il y a eu des accrochages, se souvient Fouad. Les beach clubs non plus ne voulaient plus en entendre parler. »
Interpellations et surveillance resserrée
Le problème arrive jusqu’aux oreilles du gouvernement. « Les renseignements de Dubaï ont posté des agents devant la boîte de nuit où il y a eu des bagarres pour surveiller les touristes français les jours suivants », raconte Nabil, administrateur du groupe Facebook « Dubaï tourisme ». La grande majorité des personnes impliquées dans les bagarres sont interpellées grâce aux images de vidéosurveillance.
Dans l’émirat, les rues sont truffées de caméras. Il est rare de croiser un policier en costume ou même une voiture sérigraphiée. « Ils sont souvent en civil », indique Amel Talks. « À chaque fois qu’il y a un souci, les mecs sont attrapés grâce à un travail d’enquête les jours qui suivent et il n’y a pas d’esclandre, indique Nabil. Ils font ça discrètement. »
Les arrestations à répétition calment le jeu. La crise du Covid-19 aussi. Le tourisme massif des fêtes de fin d’année 2020 fait exploser le taux de contamination local. Le gouvernement prend des mesures restrictives en urgence fin janvier. Les boîtes de nuit et les bars sont fermés. Les restaurants sont contraints de diminuer le volume de la musique pour dissuader les clients de danser.
Bizarrement, l’ambiance reste intacte dans les storys des influenceurs. « Bien loin de la réalité… » regrette un fonctionnaire français travaillant sur place. Car la fête est finie sur les bords du golfe arabo-persique. Lors de notre passage sur place début février, les clubs étaient vides, les restaurants respectaient les distances de sécurité et les rues avaient retrouvé leur calme.
Les arrestations à répétition et la fermeture des bars et restaurants à cause du Covid-19 ont mis fin aux incidents à Dubaï.
Les arrestations à répétition et la fermeture des bars et restaurants à cause du Covid-19 ont mis fin aux incidents à Dubaï. LP/Fred Dugit
L’exode tricolore vers Dubaï n’est pourtant pas terminé. Si l’afflux de touristes s’est tari, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir rejoindre les 25 000 Français vivant sur place recensés par le consulat. La cité au milieu du désert, glorifiée par les influenceurs, est devenue un Eldorado.
Les demandes de conseils à propos de l’expatriation se multiplient sur Facebook. Attirés par le mirage d’une réussite facile, beaucoup partent sans plan ni bagage professionnel. La fleur au fusil. « Je souhaite allé à Dubaï. Svp aidé moi à trouvé un travail dans tout les domaine (sic) », écrivait, mi-février, sur un groupe d’expatriés un internaute à l’orthographe approximative. Sans savoir que l’économie dubaïote a elle aussi souffert de la crise du Covid-19. Le marché de l’emploi dans les pays du Golfe pourrait reculer d’environ 13 %, avec 900 000 postes supprimés aux Émirats, selon un rapport d’Oxford Economics.
« Depuis que la téléréalité s’est installée ici [...], ce groupe est devenu une sorte de Pôle emploi géant, pestait, début février, une membre du groupe Facebook Les Nouveaux aventuriers - Dubaï. C’était drôle les premiers mois ; c’est devenu lourd… » Surtout aux yeux des vétérans, qui ont chèrement conquis leur place au soleil.