Par une loi paradoxale de l’Histoire, la disparition totale de Hitler lui a valu une étrange survie.
Bortibold3
2021-02-25 21:36:29
Ce qui a fait de Hitler un personnage comme il n’en avait effectivement « jamais existé » au cours de l’Histoire, c’est surtout qu’il n’avait pas le moindre projet civilisateur. En dépit de différences évidentes, les grandes puissances expansionnistes, de la Rome antique à l’Empire germanique, de la France napoléonienne à l’Empire britannique, se réclamaient toutes, de façon plus ou moins affirmée, d’une « mission mondiale » se référant tantôt à la liberté, tantôt au progrès. Même le despotisme sanguinaire de Staline se drapait dans les promesses d’un avenir meilleur, d’ailleurs de moins en moins crédibles. L’avidité et la soif de gloire, qui étaient presque toujours le principal moteur du désir d’assujetir des peuples étrangers, se donnaient ainsi une justification qui leur valait souvent une sorte d’absolution historique.
Bortibold3
2021-02-25 21:37:07
Pendant la prise du pouvoir et tout au long de ses guerres de conquête, Hitler avait par contre renoncé à tout enjolivement idéologique ; il estimait même superflu de masquer sa volonté de domination sous de nobles intentions. Et les Allemands, qui depuis toujours se prévalaient de cette notion de civilisation qu’ils croyaient voir à l’œuvre dans tout événement historique, ont porté au pouvoir le régime national-socialiste sans avoir pour autant le sentiment d’adhérer à une « grande idée ».
Selon une formule souvent employée à l’époque, Hitler ne leur « disait rien » – il n’évoquait pour eux aucun concept précis. De même, tous les efforts entrepris pour lui assigner un rôle historique déterminant aboutirent à l’échec. Ce qui avait subjugué la majorité des Allemands, ce qui les maintenait bien trop souvent sous son charme, c’était uniquement la personnalité de Hitler lui-même – encore qu’il parût pour le moins bizarre, voire monstrueux à certains. L’énergie indomptable qui le poussa sa vie durant n’était rien d’autre que le principe, antérieur à toute culture ou civilisation humaine, du droit du plus fort. Cette maxime était l’alpha et l’oméga de ce qu’il présentait comme sa Weltanschauung.
Bortibold3
2021-02-25 21:37:35
Ce mot d’ordre darwinien de Hitler engendra une succession de conceptions défendues avec opiniâtreté qui visaient toujours la répression et la conquête, l’asservissement et le « nettoyage racial », et se terminaient immanquablement par la « terre brûlée ». Jamais et nulle part, même là où ses soldats avaient d’abord été accueillis en libérateurs, il ne laissa planer le moindre doute sur le fait qu’il était venu en ennemi et qu’il était déterminé à rester l’ennemi. Tant que durait leur domination, presque tous les grands conquérants dont l’Histoire a gardé le souvenir se sont efforcés d’amener les peuples conquis à douter du bien-fondé de leur résistance contre l’envahisseur : cette résistance était-elle réellement fondée sur un droit ou sur des valeurs supérieures, ou n’était-ce qu’une tentative aussi vaine que rétrograde de barrer la voie à l’avenir ? Par contre, les adversaires de Hitler ne pouvaient jamais douter de leur bon droit. Comme il l’avait dit dès le début de sa carrière, son programme n’était rien d’autre que la « formulation d’une déclaration de guerre… contre une conception du monde qui a cours actuellement ».
Bortibold3
2021-02-25 21:38:30
Que signifait exactement cette formule ? On devait l’apprendre au plus tard au début des années 40, grâce aux « propos de table » et aux « monologues du quartier général du Führer ». Hitler y exprime ses conceptions sous une forme plus brutale que jamais et profite de la moindre occasion pour couvrir de sarcasmes haineux toute forme de sens moral, de religion et de considérations humanitaires. Le monde tel qu’il est, expliquait-il, est gouverné par des lois plus élémentaires. Les mesures prises depuis des siècles pour protéger l’homme contre ses semblables étaient taxées de « niaiseries de curetons ». Ces sottises ne relevaient pas seulement de la lâcheté ou de l’escroquerie, mais du « péché originel » qu’était l’infidélité à la nature. Cette trahison essentielle, affirmait-il, n’était rien moins qu’une révolte « contre le firmament » qui revenait à « se détruire soi-même ». Obéissant à cette « loi d’airain de la logique », il s’était interdit toute compassion et avait réprimé avec la plus extrême dureté l’opposition intérieure ainsi que la résistance des « races étrangères ». Comme il l’expliqua le 14 mai 1942 à son quartier général, « les singes, par exemple, piétinent à mort tout animal venu de l’extérieur et tout marginal car il est étranger à la communauté. Et ce qui vaut pour les singes vaut encore bien plus pour les êtres humains ». Jamais un puissant de ce monde n’avait à ce point tourné le dos à la pensée civilisée.
Bortibold3
2021-02-25 21:40:43
De quelque côté que l’on aborde le legs de Hitler, que l’on analyse son discours ou ses actes, l’on ne peut qu’être frappé par le nihilisme absolu qui caractérisait toute sa conception du monde. Près de trois ans avant sa fin dans le bunker de Berlin, à quelques jours près, il avait conjuré ses compagnons de table du « Führerhauptquartier » de mettre toutes leurs forces au service de la victoire ; c’était une occasion unique qu’il ne fallait pas laisser passer. Avec un geste de dédain, il avait ajouté : « N’oubliez jamais qu’en cas d’échec tout sera à l’eau. » Il était conscient d’avoir coupé tous les ponts avec le reste du monde. Pourtant, il portait à son propre crédit les traumatismes inoubliables qu’il avait provoqués. Quant aux conséquences, elles lui étaient totalement indifférentes.
Bortibold3
2021-02-25 21:42:45
Ce qui distinguait Hitler de tous ses prédécesseurs sans exception, c’était un manque total de responsabilité historique, d’altruisme et de sens du devoir. Témoignant d’un égocentrisme sans égal dans toute l’Histoire, il avait décrété que l’existence même de son pays ne dépasserait pas sa propre durée de vie, comme Albert Speer le lui reprocha dans une lettre datée du 28 mars 1945. Plus encore que les coups de poker du début, de l’occupation de la Rhénanie en 1936, lorsqu’il attendit fébrilement pendant vingt-quatre heures ce que le destin lui réservait, jusqu’à l’invasion de la Tchécoslovaquie au printemps 1939, son attitude de la fin montre qu’il n’était rien de plus qu’un joueur rusé qui avait joué son va-tout – et qui avait perdu. Au-delà, il n’y avait que le néant.
Bortibold3
2021-02-25 21:43:36
Un des généraux nationaux-socialistes les plus radicaux, le principal aide de camp de Hitler, Wilhelm Burgdorf, qui s’enorgueillissait de son « idéalisme illimité » envers « le Führer et le peuple », avait rencontré Martin Bormann dans un couloir du bunker, peu avant la fin. Au cours de la discussion, ils s’étaient échauffés, et Burgdorf avait crié au tout-puissant secrétaire de Hitler que son propre dévouement à la cause commune lui avait valu le mépris de ses camarades officiers qui étaient allés jusqu’à le taxer de « traître ». Maintenant, il était contraint de reconnaître que ses adversaires avaient raison : son « idéalisme » était « erroné », et lui-même s’était montré « naïf et stupide ». Le général Krebs, connu pour son dévouement inconditionnel envers Hitler, avait assisté à cette altercation ; lorsqu’il avait voulu s’interposer, Burgdorf l’avait repoussé avec ces mots : « Laisse-moi, Hans, un jour ou l’autre, il faut que tout cela soit dit ! » Les jeunes officiers, avait poursuivi Burgdorf, étaient « allés à la mort par centaines de milliers », et il se demandait bien pourquoi. La réponse était : ni pour la patrie, ni pour l’avenir. Il avait enfin compris : « C’est pour vous qu’ils sont morts… Des millions de gens innocents ont été sacrifiés, pendant que vous, les dirigeants du parti, vous enrichissiez aux dépens du peuple et du pays. Vous avez fait la noce, vous avez amassé des fortunes colossales, volé de grands domaines, fait construire des châteaux, vous avez nagé dans l’opulence, trompé et opprimé le peuple. Nos idéaux, notre éthique, notre foi, notre âme, vous les avez traînés dans la boue. Les êtres humains n’étaient plus que les instruments de votre insatiable soif de pouvoir. Vous avez détruit notre culture séculaire et le peuple allemand lui-même. La responsabilité que vous portez est terrible. »
Bortibold3
2021-02-25 21:44:43
Après ces mots, poursuit le témoignage, un silence total s’était fait dans le bunker. Puis Bormann, « froid, impassible et onctueux », avait répondu : « Voyons, mon cher, pas d’attaques personnelles ! Même si tous les autres se sont enrichis, je n’ai rien à me reprocher… A la tienne, cher ami ! »
Avant que Wilhelm Burgdorf ne mette fin à ses jours peu de temps après, Hitler lui donna en quelque sorte raison. Le 17 avril 1945, après une des dernières conférences du bunker, il parla (en se référant à un texte de Richelieu) de tout ce à quoi il devrait renoncer en mourant : ses grands projets et ses « plus chers souvenirs ». Tout de suite après, le personnage qu’il avait passé toute sa vie à perfectionner était revenu au premier plan : le joueur, le risque-tout et aussi, peut-être même surtout, l’homme surgi du néant – qui était sur le point de retourner au néant en laissant pour tout héritage une gigantesque accumulation de ruines de toute sorte. « Que signifie tout cela ! avait-il dit avec un geste de dédain aux officiers assemblés. “Un jour ou l’autre, il faut bien renoncer à tant de pourpre !”
Old_Soldier76
2021-02-25 21:47:28
Intéressant et sans dérapage je te félicite
moniqueau
2021-02-25 21:56:45
"Hitler était un géni-ni-ni-ni-ni-ni-nie"
Patrick Timsit