Pourquoi avez-vous cliqué sur cette phrase ? Par curiosité peut-être, pour quelques instants de divertissement. On apprend à fabriquer de très bons hameçons sur ce forum. Ce n’est pas compliqué, il suffit d'intégrer l'idée que nous sommes ici en quête de distraction. Une majeure partie d’entre nous cherche à passer le temps. Nous sommes insignifiants les uns par rapport aux autres, mais capables de nous divertir mutuellement, en étalant généreusement le sort de nos vies respectives. Nul besoin d’être écrivain pour y parvenir. Il suffit d’une phrase pour que tout le monde soit persuadé d’y trouver son compte, ne serait-ce que pour quelques instants.
Vous avez cliqué et je vous en remercie. Cette phrase incarne alors peut-être ce que vous êtes venu chercher ici. En contrepartie, vous êtes certainement ce qu’il me faut également. J’ai besoin de vous, et vous aurez certainement droit à d’autres remerciements lorsque je serai arrivé au terme de cet effort. Vous exigerez peut-être du sens avant qu'il ne vous frappe à travers ces lignes, et je ne peux malheureusement pas en faire autrement. Il n'y aura pas d'égarement inutile. J'essaierai de préserver mon anonymat, comme celui de ceux que j’ai croisé depuis un an. Ne cherchez pas à me trouver, ni à savoir où se sont passés les événements que je m’apprête à vous raconter. Je n’ai pas besoin de votre empathie, et je ne suis pas en train d’appeler au secours. A vrai dire, je vous invite vivement à rester, vous aussi, de parfaits inconnus… Tout ce qui va suivre n’est pas le fruit de mon imagination. J’aimerais que cela le soit. J’aimerais qu’il ne s’agisse pas de mon histoire, que je puisse comme vous, contempler tout cela de l’extérieur.
Mais cette histoire est la mienne. Et par-delà le fait qu’elle soit susceptible de vous intéresser, elle doit absolument vous être transmise. Sur ce forum, nous sommes tous d’illustres anonymes et tant que cet anonymat subsiste, nous n’avons rien à craindre, vous n’avez rien à craindre. Ici, je peux donc tout vous raconter, sans état d’âme.
Je vis depuis plus d’un an dans une certaine ville dont je tairai le nom. Après avoir été admis en master de droit public dans son université à la rentrée 2016, je me suis décidé à quitter le cocon familial. En cette fin d’été, j’ai disparu, en quête de réussite. Une nouvelle vie a commencé pour moi, à l'écart des miens et de tout ce que j'avais connu jusqu'à présent. Fraîchement titulaire d’une licence en droit, je n’aspirais qu’à poursuivre dans cette lancée, à conclure mes études de la meilleure des façons. Je me voyais déjà travailler dans l’urbanisme, intégrer un bureau d’études et entamer une carrière épanouissante. C’est ce qui aurait dû se passer. Mais les événements auxquels j'ai fait face depuis ce nouveau départ m'ont contraint à laisser tomber, à bifurquer brusquement, et à laisser derrière moi ce chemin tout tracé, qui nous confortaient, mes parents et moi. C'est pourtant bien peu de choses face à ce qui continue de me tourmenter aujourd'hui. La situation atteint un stade tel que j'entreprends désormais cet effort d'écriture sans savoir s'il pourra avoir le moindre effet positif. Il me permettra au moins de tout vous raconter et cela est nécessaire. Je vais rapporter sur cette page internet l'ensemble des faits qui m'ont lentement mené au bord du gouffre depuis la fin de l'année passée.
Au crépuscule de l'été, je suis arrivé dans ce petit appartement de province. C'était quelques jours avant la rentrée scolaire. J'ai découvert une faculté de droit peu entretenue, tranchant singulièrement avec celle qui m'avait accueilli par le passé. Les murs des salles de classe étaient beiges, un beige proche du rose pâle. Et dans les coins, la peinture s'écaillait avec l'humidité ambiante. Régulièrement, de petits craquements à peine audibles signifiaient que le processus de décrépitude se poursuivait, tout autour de moi. Dans les couloirs, le parquet grinçait sous le pas lourd des étudiants. Mais de l'autre côté de la rue se trouvait la bibliothèque universitaire, un complexe de trois étages à l'apparence moderne et entretenue, antithèse frappante du pauvre établissement réservé aux juristes en devenir. C'est là bas que j'avais pris l'habitude de me rendre dès le mois d'octobre.
Sweet
L'endroit était idéal pour se ressourcer après de longues journées passées dans l'austérité de la faculté. Le poids pesant de mon déracinement, ce décalage tenace à l'égard des autres étudiants, tout disparaissait dès lors que je franchissais les portes de la bibliothèque et que je m'installais au premier étage. J'étais seul mais nous l'étions tous plus ou moins ici, plongés dans nos mondes respectifs. Un peu comme sur ce forum, mais avec une réserve propre à la réalité.
C'est un mardi soir du mois de novembre que j’ai repéré pour la première fois une étudiante qui venait aussi travailler au premier étage de la bibliothèque. Elle s'était installée à quelques mètres de ma place habituelle, dans le prolongement de cette longue table qui bordait la façade vitrée du premier étage. Il faut avoir une idée de l'architecture particulière du bâtiment, sa forme semi-circulaire en façade et les vastes baies vitrées qui lui donnent des airs d'observatoire. A l'intérieur, des plans de travail en bois installés le long de ces ouvertures sur l'extérieur épousaient leur forme arrondie. Cet aménagement permettait donc de contempler l'activité de la rue tout en étudiant. J'aimais m'installer ici pour cette raison. Il y avait quelque chose d’hypnotique à la vue de ces masses d'étudiants qui allaient et venaient continuellement sur le trottoir.
Les soirées se sont succédé, et de nombreuses fois, j'ai vu cette étudiante revenir.
Continue l'op j'aime bien
Ses visites respectaient des plages horaires régulières. Comme moi, l'une d'entre elles était le mardi soir après dix-sept heures. Elle passait derrière moi et s'arrêtait à une petite dizaine de mètres sur ma gauche. Petit à petit, je me suis naturellement désintéressé du spectacle que m'offrait cette vue sur l'extérieur pour me focaliser sur elle. Elle, qui portait toujours ce même manteau gris à ruban. Quand elle était plongée dans son manuel, je ne voyais plus que ses longs cheveux bruns devant son visage. Pendant plusieurs semaines, je l’ai observée furtivement, laissant les questions affluer continuellement dans mon esprit. Au fil de ses venues, ma curiosité s'est transformée en un sentiment d'attirance inexplicable. Dans le moindre de ses gestes, je percevais une légèreté particulière, quelque chose de fascinant que je ne saurais définir au moment où je vous en parle. Combien de fois l'ai-je croisée en tout ? Je l’ignore. Mais elle était toujours seule, aussi seule que moi, et studieusement plongée dans son propre monde. Jamais je ne l'ai vue saluer qui que ce soit ici.
Pendant ces nombreuses semaines d'observation, je n'ai pas eu l'impression de retenir son attention. Nous étudiions chacun de notre côté sans que rien ne trahisse l'intérêt que je lui portais. En réalité, je passais l'essentiel de mon temps à jouer au Go sur le réseau internet de l'université. J'avais découvert ce jeu de stratégie chinois quelques mois plus tôt. Une application sur mon téléphone me permettait d'affronter des joueurs du monde entier sur plateau réduit. Chaque partie durait en moyenne trois minutes et nécessitait une concentration totale pour éviter de tomber sous la domination de l'adversaire. C'était en somme un véritable bras de fer, sec et chirurgical. Entre deux parties, je jetais un œil vers elle. Un soir est venu où nos regards se sont croisés pour la première fois. Un court instant que j'ai savouré plus que tout autre passé ici. Sans que je le sache, ce simple regard croisé fut le début d'un jeu silencieux que nous avons poursuivi tous les deux pendant plusieurs semaines. Au fil des soirées, cette occasion s'est étrangement multipliée, nos regards n'ont cessé de se croiser comme pour échanger mutuellement une sorte de reconnaissance, et pour rompre avec l’ennui du travail. Pour moi en réalité, c'était un peu plus que ça. Ce rituel a fini par m'occuper l'esprit au plus haut point. A l'inverse de la réaction que je pouvais présager de la part d'une inconnue, elle ne fuyait pas mon regard, mais semblait l'accepter. Le sien de regard, n'exprimait aucune crainte, c'était comme une mystérieuse invitation.
Sweet, t'écris bien, tu m'as accroché dès le début
Sweet
Ce petit jeu a perduré, et quelques sentiments bizarres ont commencé à naître en moi. Il m’est arrivé de me projeter dans des situations imaginaires en faisant mine d’être concentré dans mon cours de libertés fondamentales, tant je traduisais cet échange de regards comme l'expression d'un feu vert affectif. Je ne sais pas combien de temps en tout mon esprit a cogité sur le sens de tout ça. J'aurais voulu savoir ce qui se passait dans sa tête pour simplement agir en conséquence. Malgré les fantasmes et les suppositions, je me rendais souvent à l'évidence. Cette étrange connexion reposait sur une ambiguïté totale, une confusion entretenue chaque mardi soir dans un silence réciproque. Ce constat me plongeait dans l'inquiétude de ne jamais pouvoir obtenir rien d'autre de sa part que ce regard mystérieux. Il aurait fallu que je l'aborde pour briser la glace qui nous séparait mais je me contentais de capter son regard encore et encore, soir après soir. Comme le jeu de Go avec mes cours, ces échanges silencieux étaient le moyen de remettre à plus tard l'échéance d'une réelle initiative de ma part. Je n'avais pas la moindre idée de ce qui pouvait advenir de tout ça. Par la force des choses, ou plutôt, par la force de ce qui m'était destiné dès ce début d'année scolaire, les semaines suivantes m’ont progressivement apporté des réponses.
Je n'ai jamais fait le premier pas vers elle. Si j’avais su où allait vraiment déboucher ce petit jeu, j'aurais même fait demi-tour. Peut-être n'aurais-je jamais remis les pieds ici. Maintenant, j’y pense constamment. Pas une journée ne passe sans que je me dise que les choses auraient pu être si différentes, et je m’en mords les doigts. Il y a toujours des regrets, des choses qu'on ne peut pas prévoir. Avec le recul, on réalise qu'on a fait de mauvais choix. En ce qui me concerne, j'ai pris la route de l'abîme sans le savoir.
Un soir de décembre, elle était descendue, sans doute pour prendre une pause. Ses affaires étaient encore étalées sur la longue table en bois qui nous liait l'un à l'autre. La nuit venait de tomber et une atmosphère calme régnait dans la bibliothèque. J'avais profité de ce moment pour passer à côté de sa table, faisant mine de me diriger vers un rayon de manuels. Sur ma route, j’avais pu voir que son ouvrage portait sur l’Histoire, et qu'il était destiné aux étudiants en première année de licence. J’ai également tenté d'apercevoir son nom quelque part sur les feuilles éparpillées, en vain. Après avoir fait un tour au milieu des rangées de livres, je suis retourné à ma place, satisfait. Je comptais exploiter cette information.
Ce même soir, une fois rentré chez moi, j’ai épluché les réseaux sociaux comme jamais pour la retrouver. J'étais allongé sur le lit, fixant l'écran de mon ordinateur portable. Ma chambre baignait dans la pénombre. La seule source lumineuse émanant de la pièce était la petite lampe de chevet posée sur le bloc à tiroirs au pied du lit. Je suis finalement tombé sur un groupe communautaire d'utilisateurs intitulé « L1 Histoire, promo 2016-2017 » de la faculté où j’étais inscrit. Par chance, le groupe était accessible publiquement, ce qui m'a permis de passer en revue tous ses membres, un par un. Je cliquais sur les différents profils, puis je faisais un rapide examen des photos qui traînaient dessus pour identifier leurs propriétaires. Parfois, la tâche était difficile, voire impossible, certains utilisateurs étant plus soucieux que d'autres quant à la protection de leur vie privée. Je procédais par élimination. Au fil des minutes, la quantité d'onglets ouverts sur mon navigateur internet s'est drastiquement réduite pour ne laisser apparaître que les profils derrière lesquels pouvait potentiellement se cacher cette étudiante. Je n'ai pas eu besoin d'approfondir ce travail de détective plus longtemps. Je l’ai trouvée. En cliquant sur sa photo de profil, celle-ci s'est affichée en taille réelle. C'est à cet instant que je l'ai identifiée. Il s'agissait d'un portrait recadré, probablement une photo de vacances. Elle semblait être sur une plage et portait un chapeau d'été en paille. Je ne l'avais jamais vue sourire comme sur cette photo mais je me souviens du malaise que j'ai ressenti en fixant son regard à travers l'écran. Je m'attendais à être satisfait d'avoir mis la main sur son profil. A la place, j'avais la sensation irrationnelle que c'était elle qui, à travers cette photo, venait de me surprendre, seul en train de l'épier sur internet.
Plusieurs jours se sont écoulés sans que je ne fasse le moindre pas vers elle. Malgré cette possibilité nouvelle de l'aborder indirectement, je craignais de l'effrayer en lui envoyant un message. Je trahissais ainsi le procédé acharné que j'avais mis en place pour la trouver, d'autant qu'elle ignorait par quel indice de base j'avais pu tomber sur ce groupe d'étudiants en Histoire. Une fois de plus, il semblait que j'étais dans une impasse. Mais puisqu'il fallait une issue, elle a fini par se présenter. Un beau vendredi de décembre, alors que je n'avais toujours pas fait le moindre geste susceptible de déboucher sur une rencontre, j’ai reçu une demande d'ajout en liste d'amis. La surprise était totale. C'était elle.
Ce soir-là, j'étais gagné par l'euphorie. Vous imaginez bien, c'était complètement inespéré. J'ignorais par quel biais elle avait réussi à me trouver. Elle avait probablement épluché les réseaux sociaux par voie de suppositions comme je l'avais fait, ce qui me laissait une agréable sensation d'ironie. La seule différence était qu'elle avait décidé de l'assumer, à raison car je n'étais pas effrayé le moins du monde. Au contraire, je percevais même cela comme le signe d'une attention particulière à mon égard qui valait peut-être plus à ses yeux que le secret entretenu tout autour. Elle avait eu plus de cran et de volonté que moi. Moins de dix minutes après avoir accepté cette demande, j'ai reçu un premier message.
« Tu ne serais pas à la B.U. tous les mardis soirs par hasard ? »
J’ai savouré ce message une demie-heure sans y répondre. Aucun doute, j'avais retenu son attention. Je le savais déjà, mais sans doute pas à ce point. Il arrivait à une période où je pensais régulièrement à elle. Je me sentais soudain à votre place, vous les kheys qui sollicitez ce genre de forum pour mener à bien votre opération de flirt sur internet. Je devais répondre à ce message incessamment sous peu, m'adresser à elle pour la première fois. C’était une agréable sensation malgré le fait que je n’avais absolument rien fait pour la mériter. J’ai donc répondu à son message, non sans difficulté. Je ne voulais rien laisser transparaître de ma joie, et en même temps, il fallait être suffisamment avenant pour entretenir la conversation. L'effort fut une prise de tête contre-productive et donna lieu à une conversation qui manquait de spontanéité.
« Oui, c’est bien moi !
— Tu seras là mardi prochain ?
— Bien sûr comme à mon habitude, et toi ?
— Tu verras bien ».
L'échange avait été bref, dégageant même une certaine froideur malgré ce smiley final. Excitation et frustration se mêlaient dans un tourbillon d'émotions. Le mystère dans lequel nous baignions depuis le mois de novembre demeurait complet. Même sur internet, il semblait que nous avions naturellement pris le parti d'un certain flou concernant notre identité. Effectivement, à l'issue de cette première conversation, je n'avais toujours pas la moindre information la concernant. Je me rappelle avoir rapidement tempéré mon impatience. Comment pouvais-je exiger davantage après ce qu'elle avait fait pour m'écrire ? Ce soir-là, j'ai pensé avoir beaucoup de chance. J'ai pensé pouvoir me coucher avec le sourire, et c'est ce que j'ai fait.
Pas mal. Le mystère qui plane sur le récit fait penser à la littérature fantastique d'auteurs comme Theophile Gautier
Dès lors, elle n'a cessé d'occuper mes pensées. Ce petit événement a suffi à relancer ma motivation d'étudiant. Le quotidien s'est trouvé allégé. J’étais plus présent en séance de travaux dirigés et moins assailli par la pression de la réussite. Plusieurs débuts de nuits, je l'ai imaginée à mes côtés en sombrant dans le sommeil. Il m'est aussi arrivé d'en rêver, de sentir réellement sa présence. En me réveillant, c'était comme si elle venait de partir, quelques minutes plus tôt. Je me souviens très bien d'un matin où j'ai eu l'impression que les draps étaient encore chargés de son odeur. Mon premier réflexe en ouvrant les yeux était de vérifier si j'avais reçu un nouveau message de sa part, mais j'étais à chaque fois rattrapé par la réalité de notre relation, mystérieusement figée. Je n'arrive toujours pas à expliquer comment cette fille a pu m'obséder à ce point. Elle prenait toute la place. A vrai dire, je n'avais personne avec qui communiquer au quotidien. Dans cette situation, il était aisé pour quelqu'un de prendre de l'importance dans ma vie. Et c'est ce qui s'est passé. J'étais focalisé sur elle.
Il ne restait que deux mardis pour la rencontrer avant les vacances de Noël. A cette période, un rongeur se manifestait tous les soirs au dessus de mon appartement, là où se trouvaient les combles du petit immeuble. Lundi soir, alors que je tournais dans les draps en pensant à l'éventualité d'une rencontre, le petit animal s'est mis à gratter le plancher du grenier, juste au dessus de mon lit. Parfois il s'interrompait l'espace d'un instant, puis reprenait. L'impression qu'il allait finir par se frayer un chemin jusqu'au plafond de mon appartement était très désagréable. Vers quatre heures du matin, alors que ce voisin indésirable poursuivait son entreprise, j'ai décidé d'envoyer un courriel au propriétaire de l'appartement pour lui faire part du problème.
Le 24 janvier 2021 à 19:40:19 LeslieCheung a écrit :
Dès lors, elle n'a cessé d'occuper mes pensées. Ce petit événement a suffi à relancer ma motivation d'étudiant. Le quotidien s'est trouvé allégé. J’étais plus présent en séance de travaux dirigés et moins assailli par la pression de la réussite. Plusieurs débuts de nuits, je l'ai imaginée à mes côtés en sombrant dans le sommeil. Il m'est aussi arrivé d'en rêver, de sentir réellement sa présence. En me réveillant, c'était comme si elle venait de partir, quelques minutes plus tôt. Je me souviens très bien d'un matin où j'ai eu l'impression que les draps étaient encore chargés de son odeur. Mon premier réflexe en ouvrant les yeux était de vérifier si j'avais reçu un nouveau message de sa part, mais j'étais à chaque fois rattrapé par la réalité de notre relation, mystérieusement figée. Je n'arrive toujours pas à expliquer comment cette fille a pu m'obséder à ce point. Elle prenait toute la place. A vrai dire, je n'avais personne avec qui communiquer au quotidien. Dans cette situation, il était aisé pour quelqu'un de prendre de l'importance dans ma vie. Et c'est ce qui s'est passé. J'étais focalisé sur elle.Il ne restait que deux mardis pour la rencontrer avant les vacances de Noël. A cette période, un rongeur se manifestait tous les soirs au dessus de mon appartement, là où se trouvaient les combles du petit immeuble. Lundi soir, alors que je tournais dans les draps en pensant à l'éventualité d'une rencontre, le petit animal s'est mis à gratter le plancher du grenier, juste au dessus de mon lit. Parfois il s'interrompait l'espace d'un instant, puis reprenait. L'impression qu'il allait finir par se frayer un chemin jusqu'au plafond de mon appartement était très désagréable. Vers quatre heures du matin, alors que ce voisin indésirable poursuivait son entreprise, j'ai décidé d'envoyer un courriel au propriétaire de l'appartement pour lui faire part du problème.
Ca sent tellement pas bon, qu'est ce que t'as branlé l'op ?
Le lendemain, après les cours, j’étais assis à ma place habituelle, au premier étage de la bibliothèque. Je scrutais les environs au travers de la longue baie vitrée, un peu stressé par la perspective d'une rencontre. Les minutes s'écoulaient lentement. Par vagues, les étudiants sortaient de la faculté pour regagner l'arrêt de bus à une cinquantaine de mètres sur la droite. Certains prenaient la direction de la bibliothèque. J'espérais l'apercevoir et anticiper ainsi son arrivée. Pour que le temps s'écoule plus vite, j'avais fait quelques parties de Go sur mon téléphone. Je jetais parfois des coups d’œil furtifs autour de moi pour m'assurer de ne pas la rater. Mais plus d'une heure est passée sans que je ne l’aperçoive. Encore quelques minutes plus tard, j'ai fini par me rendre à l'évidence. Pour la première fois, elle n'était pas là. J'ai rangé mes affaires et quitté la bibliothèque plus tôt que prévu. Dehors, il faisait déjà nuit. Le froid de l'hiver engourdissait les muscles de ma mâchoire. J'avais acheté un pain au chocolat dans une boulangerie avant de prendre la direction de l'appartement. Même une fois arrivé, une certaine frustration me pinçait les nerfs. Je songeais à la raison de son absence. Après avoir dîné, je lui ai envoyé un message.
« J'espère que tout va bien pour toi. ».
Je n’ai pas obtenu de réponse. Pourtant, environ une heure plus tard est apparue sous mon message une petite notification m'informant qu'elle l'avait bien lu. « Vu : 23:42 ». J'ai décidé de ne pas insister. C’est à partir de ce moment que l'excitation a commencé à s'estomper au profit de la frustration, et d'autres sensations sous-jacentes encore difficilement explicables. J'ai attendu sa réponse toute la semaine, difficilement. Quand j'y pensais, le temps ralentissait, et je n'arrivais plus à prendre mon mal en patience. Plusieurs fois, l'idée de la relancer m'a démangé. Mais finalement, par la force des choses, j'ai réussi à me faire violence. J'ai gardé le silence jusqu'au mardi suivant, dans l'espoir de la voir de mes propres yeux cette fois-ci. Entre temps, le propriétaire de l'appartement m'avait répondu qu'il passerait faire le nécessaire concernant le rongeur dans le grenier.
Sweet
Sweet