Oui, oui, je sais... "Il avait des voitures en bas de chez lui", "il devait voir un psy", "il a tro souffair ptdrr issou la chankla" etc. Je vous vois venir, vous et ces mêmes phrase que vous allez recracher bêtement. Cela dit, je prends quand même la peine de vous demander d'approcher ce sujet avec un esprit critique et ouvert, débarrassé de tous vos préjugés construits à base de "délires" puérils. https://image.noelshack.com/fichiers/2016/50/1482000512-onsecalmerisitas.png
En lisant ces lignes, vous vous rendrez compte que je ne trolle absolument pas et que mon propos s'appuie solidement sur les éléments de l'album. Je vous invite donc à réécouter les morceaux que je mentionne, vous verrez que ce dont je parle (le contenu thématique et musical) est évident. "Cyborg" est, à mon sens, l'album le moins bien compris de l'histoire du rap. Je pense qu'en dehors de Nekfeu, Loubenski et Diabi Taylorisme, personne n'a complétement saisit ce que cet album nous dit alors même que son message est accessible et clair.
Parce que, finalement, "Cyborg" c'est :
-Un regard acerbe sur la modernité : critique du culte de la raison et du progrès propre à la modernité, de la place de la technique dans nos vies qui tend à réduire notre humanité à mesure que l'on se soumet à l'objet ("Avant tu riais", "Programmé"), de la spiritualité en déclin au profit d'un scientisme matérialiste ("Avant tu riais"), de l'hyperréalité qui atteint un stade nouveau avec les réseaux sociaux ("Réalité Augmentée"), de l'encadrement technocratique ("Mauvaise graine"), une réflexion sur le libre arbitre ("Programmé") etc. Par ailleurs, Nekfeu se montre fulgurant quand il dénonce, bien avant les incidents impliquant Gilets Jaunes, les nombreuses violences policières qui sévissent lors des manifestations et quand il devient le premier rappeur (à ma connaissance) à s'en prendre à Emmanuel Macron alors que celui-ci n'était encore que ministre de l'économie (cf. "Squa").
À travers la métaphore du "Cyborg", Nekfeu place d'ores et déjà le présent dans le futur annoncé par les transhumanistes et il dresse ainsi deux catégories d'individus confrontés au système :
Les Cyborg 'fonctionnels', individus intégrés et parfaitement calibrés par le systèmes. Ces individus se déshumanisent peu à peu, préférant cédant à la virtualité et à l'attrait du matériel. Ils sont dénués de spiritualité. Les "Humanoïdes" sont des Cyborgs défectueux tels que les nomme Nekfeu. Ils peinent à s'intégrer au système parce qu'ils ressentent une dissonance entre les valeurs morales qu'ils portent en eux et l'idéologie matérialiste et nihiliste que leur offre le système. Comme il l'affirme dans "Avant tu riais", le seul moyen d'échapper à ce matérialisme est l'amour : l'amour de soi, mais surtout l'amour de l'autre. C'est en préservant le lien social, amical et amoureux que l'Homme revient à sa Nature première. Cela dit, il est intéressant de noter que durant tout l'album, Nekfeu est tiraillé entre les promesses de la matière (cf. les sons quasiment hédonistes comme "Saturne" ou "Squa") et les vérités de la spiritualité.
-Un approche artistique post-moderne : méta-narration (la mise en abime de "Galatée" où Nekfeu écrit une chanson sur une amante qui lui reprochait de négliger leur amour au profit de l'art et où il finit par se rendre compte de manière ironique, à mesure qu'il écrit, qu'elle avait raison), méta-écriture (Nekfeu marmonne souvent des mélodies qu'il réutilise plus tard comme refrains ou outros), insertion de "glitch" et de bruits qui évoquent des bugs pour nous rappeler du caractère potentiellement dysfonctionnel de toute technologie (Nekfeu se définit d'ailleurs comme un "Cyborg défectueux").
-Un éclectisme qui reflète les thèmes de l'album : Les morceaux plus sombres, qui épousent ou décrivent le matérialisme et le scientisme de la modernité, sont portés par des sonorités glaciales et mécaniques. La première partie de "Humanoïde", par exemple, ressemblerait presque aux grincements continues d'une machine enclenchée. On peut également citer "Programmé", production trap aux percussions étouffantes qui éclipsent un synthétiseur froid et onirique. Quand Nekfeu traite de sujets plus "humains", quand il laisse transparaitre ses émotions, ses intuitions et sa spiritualité, les sonorités deviennent plus chaleureuses et des instruments acoustiques sont introduits. Ainsi, sur "Vinyle", où sa colère exulte au point de rompre sa voix, et sur "O.D", où il s'adresse à cette fameuse "Égérie" qu'il dédaignait sur son album précédent, le saxophone du légendaire Archie Shepp l'accompagne. Sur "Galatée", le piano de Loubenski évoque tour à tour la candeur et l'amertume d'un souvenir amoureux et d'une fantaisie fallacieuse. Le clavier aux teintes chaudes de "Nekketsu" devient une mosaïque sur laquelle Nekfeu se remémore (cette fois-ci positivement, contrairement à "Humanoïde") son parcours, qu'il associe à celui d'un héros de shonen.
Une prouesse technique et artistique hors-norme : S'il y'a bien un album qui solidifie le statut de "meilleur rappeur technique" de Nekfeu, c'est bien celui-ci. Les variations de flows en deviennent innombrables, chaque syllabe accentuée trouve une symétrie rythmiques - que ce soit avec les percussions ou avec l'une des syllabes de la phrase suivante/précédente - et la voix du rappeur fluctue au fil des mesures, chantante, nonchalante, nasale, aiguë, grave etc. Comme chez Drake ou plus encore chez Kendrick Lamar, la voix est un outil à part entière qui vient renforcer l'émotion transmise par les paroles, les flows ou l'instrumentale. Nekfeu trouve une symbiose entre fond et forme. Son usage de la langue est tour à tour métaphorique et descriptif ("Tu dis qu'j'les séduis toutes / Quand t'es pas là j'suis un junkie, j'attend qu'les aiguilles tournent"), familier et poétique ("Écrivain le soir, j'rappe sur les dunes pendant des heures / Un petit grain de sable, la solitude m'inspire des airs"). Le rappeur multiplie les mesures double-sens, joue avec les mise en abime, nous invite dans son propre procédé d'écriture en laissant les "yaourt" qui lui permettent des trouver des cadences ou des mélodies.
Conclusion : À travers un album riche musicalement et substantiellement, un soucis du détail qui se reflète aussi bien dans la production que dans l'écriture (ex : Nekfeu se compare à Goku en affirmant "avoir le cœur souffrant", ce dernier souffre d'une maladie cardiaque pendant l'arc narratif où... il affronte des Cyborgs), une sensibilité qui transparait dans chaque morceau, un éclectisme qui va du grime au jazz hop, Nekfeu dessine les contours d'une dystopie vécue au présent. Le déclin semble inévitable pourtant, le rappeur nous enseigne comme y échapper à nous renvoyant à notre "nature intérieure" : l'amour. C'est à travers l'amour de ses pairs, l'amour qu'il voue aux autres et l'amour qu'il voue à lui-même que le Cyborg devient Humanoïde et que l’Humanoïde redevient Homme. Le mot "toi" interrompt, ouvre ou conclut les morceau en un cri qui devient vite un écho distant, comme pour rappeler à l'auditeur que la clé viendra de lui. "Putride devient l'esprit qu'on a pétri de modernité" déclame l'artiste à la fin du premier morceau. La modernité t'entrave, libère--
Évidemment, je me doute que c'est long et que ça prendra du temps avant que l'un de vous ne remonte le topic donc je vais le remonter moi-même. https://image.noelshack.com/fichiers/2017/49/7/1512908997-nekfeu1.png
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