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2020-11-27 18:24:13
La Croix : Vous présentez à l’Assemblée nationale une résolution demandant l’ouverture d’un débat sur la mise en place d’un revenu universel (RU), que vous appelez « socle citoyen ». Pourquoi avoir choisi ce nom ?
Valérie Petit : Le « revenu universel » est une appellation générique qui recouvre différentes propositions émanant de plusieurs familles politiques. Celles-ci partagent l’objectif d’éradication de la pauvreté, mais divergent sur le chemin à emprunter. Le « socle citoyen » est le dispositif défendu par la famille « libérale », conçu à partir des travaux de Génération Libre sur le « revenu de liberté ».
Est-il très différent des propositions développées par Benoît Hamon ?
V.P. : Les socialistes, qui ont déposé en 2018 une proposition de loi en faveur du revenu de base à partir d’une fusion et d’une extension des aides sociales, devraient voter la résolution. Je propose cependant de passer par une réforme fiscale, car le système des aides sociales est devenu irréformable.
→ ENTRETIEN. Benoît Hamon : « Le revenu universel questionne notre rapport au travail »
Quelle forme prendra le socle citoyen ?
V.P. : Le débat portera sur plusieurs aspects, à commencer par son montant : sans le fixer a priori, j’estime qu’il ne saurait être inférieur au revenu de solidarité active (RSA) actuel (564 € pour une personne seule). Pour le financer, certains proposent de nouvelles taxes, mais je suis plutôt favorable à une réforme de l’impôt sur le revenu (IR). Le choc de simplification des aides sociales permettra de réaliser des économies.
Faut-il redouter une diminution ou une disparition des aides existantes, telles que l’allocation logement ou l’allocation d’adulte handicapé (AAH) ?
V.P. : L’idée n’est pas de supprimer les aides, mais de les intégrer dans un calcul et un versement unique à périmètre budgétaire constant. Il faut d’abord rendre l’IR universel et individuel : tout le monde sera imposable, dès le premier euro gagné. Ensuite, selon votre revenu, soit vous continuerez à payer un impôt, soit vous recevrez une compensation.
Cependant, trois types de prestations seront conservées : les allocations logement, les prestations familiales et les prestations de « fragilité », dont l’AAH.
→ ANALYSE. Le plaidoyer du pape François pour le revenu universel
La feuille d’imposition se réduira à trois lignes : revenu, socle citoyen et prestations. Cette révolution fiscale s’appuiera sur le prélèvement à la source, qui permettra un ajustement en temps réel selon les fluctuations de revenu. Un mécanisme qui aurait été bien utile pendant la crise !
Avec le socle citoyen, les Français auront l’assurance de ne pas tomber dans la pauvreté. Dégagés de cette angoisse, ils pourront se former, prendre un congé sabbatique pour une tâche utile à la société ou créer leur entreprise.
Vous évoquez la nécessité de boucher les « trous » du système de protection sociale, pour les indépendants et les jeunes par exemple. Pourquoi ne pas se contenter de créer de nouvelles aides ciblées, comme un « RSA jeunes » ?
V.P. : Ce serait persister dans l’erreur. Le système actuel est une couverture trouée qui ne permet pas de protéger les Français sur un pied d’égalité. Pourquoi traiter différemment agents publics, salariés, commerçants et étudiants ?
Trop complexe, le système actuel décourage les demandeurs, alors qu’un socle citoyen limiterait le non-recours aux droits. Deux publics en sont particulièrement victimes : les ménages modestes et les petits entrepreneurs, martyrs d’une administration qui les contraint à effectuer des démarches stigmatisantes.
L’une des critiques adressées au RU est qu’il risque d’encourager l’oisiveté, ou le travail illégal. Que répondez-vous à cette objection ?
V.P. : Le test mené en Finlande a montré que le revenu universel ne permet pas forcément de revenir dans l’emploi, mais qu’il ne fait pas non plus reculer l’activité. Il est grand temps d’élargir la conception de l’activité, au-delà du salariat et de la sphère marchande, en intégrant les bénéfices sociaux et écologiques.
→ RELIRE. Le revenu universel, une idée qui divise la gauche
Je suis lasse d’entendre des préjugés sur les « pauvres » : il y a des Français, qui à un moment sont en difficulté. Il faut investir dans les individus, croire en eux. Esther Duflo, prix Nobel d’économie, a bien montré que quand vous misez sur quelqu’un, vous le rendez plus actif et engagé.
Le pape s’est prononcé en faveur du revenu universel. L’urgence sociale va-t-elle permettre de réunir un consensus sur le sujet ?
V.P. : Nous vivons un moment historique qu’il faut saisir pour lutter contre l’explosion de la pauvreté. Une initiative est également en cours au niveau européen, ne prenons pas de retard. Le renfort du pape est bienvenu : tous les chemins mènent à Rome. Aujourd’hui, ils mènent aussi au revenu universel !