Diacosme46
2017-03-19 21:13:34
L’œuvre de ces auteurs (Evola, Guénon) rassemble un arsenal critique à l'encontre de la modernité (versant temporel). Certains passages sont exaltants (versant spirituel), et on y trouve une érudition assez remarquable dans l'étude comparée des religions, et plus particulièrement des traditions ésotériques.
Evola me paraît s'inspirer énormément de la clé de lecture épistémologique dionysiaque/apollinien de Nietzsche dans son analyse symbolique des sociétés et son diagnostic de la modernité comme nihilisme, domaine des Eaux Inférieures, et anti-culture (au sens d'une pseudo-culture n'assurant plus de transversalité entre les rites et les arts, d'une culture n'assurant plus la pulsion donatrice de forme et les valeurs hiérarchiques).
En effet, pour Evola, la "culture" qu'on a traditionnellement connu en Occident, le modèle d'organisation sociale et spirituel, correspondait alors à l'expression de cette pulsion métaphysique fondamentale qui aura fait primer l'ordre social de la différenciation hiérarchique (ordre trinitaire médiéval), la célébration apollinienne/olympienne d'un "supra-monde" mathématique soustrait au devenir et sujet à la contemplation des formes (hyperanusie de Platon, cosmos de Boèce), ainsi que sa fonction de transversalité rites/arts, et de ses valeurs communautaires et sacrificielles.
Cette culture, en son sein, continuait pourtant de charrier des expériences et des pratiques relatives à son pendant métaphysique contraire (danses de St Guy, cortèges dionysiaques, pulsion de dissolution dionysiaque de l'un dans le tout, abolition des distinctions sociales, promiscuité collective, abandon des formes dans un retour à la matérialité chaotique), mais la promotion de la forme hiérarchique sur la matière fluante persistait à titre de valeur épokâle.
En d'autres termes, ces 2 ordres complémentaires s'opposent en s'accouplant : 1) ils entrent dans des rapports dialectiques complexes et 2) ils ne sont que des moyens heuristiques pour déterminer quelle expérience symbolique fondamentale l'être humain a choisi, dans telle ou telle société donnée, de célébrer collectivement. Aucune société n'est purement olympienne/apollinienne, ni purement dionisiaque/aphrodisiaque/démeterienne (ces deux déesses figurant respectivement le potentiel négatif/destructeur et positif/revivifiant du flux).
Or, cette pulsion dionysiaque n'a plus rien à voir avec l'ordre culturel renversé qui est progressivement devenu le nôtre. Ce dernier en effet prône pour Evola un espèce de flux dionysiaque dévoyé et maladif, dont les eaux inférieures (qu'il oppose aux eaux supérieures, démeterienne), plutôt que d'assurer une régénération du tissu social et des institutions soumises au temps et à la mort, prétend par lui-même constituer des formes fluides à son image, en affaiblissant les restes que la culture traditionnelle aura légué, et les instincts collectifs en général : répugner à la souffrance générée par des rapports hiérarchiques, aimer tout le monde (ce qui est le plus sûr moyen de n'aimer personne), traduction de la tension spirituelle et symbolique de l'homme en terme de "bonheur" matériel (les "plaisirs" et les "souffrances" d'esclave de Nietzsche).. Cette société est :
- Tellurique : idéologie matérialiste (positivisme scientifique, libéralisme, marxisme) et systèmes de pensée vitalistes.
- Dionysiaque : dominance messianique nette pour l'informe, le flou, l'illimité : à l'abolition des frontières doit répondre l'abolition des différences sexuelles (discours festifs promouvant les phénomènes de promiscuité, réalité de rapports atomisés) et de tout mode de pensée fondé sur de la distinction hiérarchique, voir de la distinction tout court, la norme de la société du travail est à la "flexibilité" et à l'"adaptativité", savoir suivre "le flux des opportunités" à entreprendre, etc. Au niveau du corps, théorie des "machines désirantes" de Deleuze ; au niveau des relations de couple, "l'amour collaboratif" d'Attali.
-Lunaire : culte de l'abstraction dans les arts et les sciences, culture séparée de la vie ou faisant en sorte que celle-ci suive des abstractions vides (le néant de la "liberté" des modernes, des virtualités infinies), intellectualisme, hypertrophie du sens critique, créativité individuelle égotique et esthétisante, psychanalyse, prédominance accordée à tout ce qui est sexuel ou instinctif.
Tous ces auteurs ont connu l'âge d'or de l'occultisme orientaliste, et y ont eux-mêmes contribué assez significativement. Leur influence ne s'est pas cantonnée à des cercles, des loges, des sectes, mais a également inspiré des écrivains (de mémoire, Barjavel et André Breton étaient lecteurs de Guénon), des intellectuels (Louis Pauwels et Arnaud Desjardins furent dans leur jeunesse des disciples de Gurdjieff), des courants politiques (le MSI s'abreuvait volontiers chez Evola).
Pour l'élévation de l'âme, je vous encourage à consulter directement les écrits directs et rapportés de nombreux gurus indiens des ~150 dernières années (dont la diffusion a été garantie par le courant occultiste occidental), ou leurs variantes tibétaines et est-asiatiques (Tao, Zen). Toutes ces spiritualités ayant souvent pour racine commune les enseignements du Vedanta.
Pour vous mettre gentiment dans l'ambiance, vous pouvez visionner le documentaire d'Arnaud Desjardins intitulé "Ashrams", où l'on voit entre autres Ma Ananda Moyi.
Le problème, à mon sens, de ce courant de pensée, est son aspect profondément individualiste et "défaitiste". Si l'on pouvait résumr toute la prose traditionaliste à la truelle, ça donnerait : ah la la, c'était mieux du temps de la Tradition Primordiale (qui n'a jamais existé), l'involution et la décadence sont inévitables car le monde matériel fonctionne par cycles ultra-déterministes et nous sommes en plein Kali Yuga, le prochain âge d'or n'est pas pour demain, il faut donc accepter cette réalité et ne pas espérer de changement, seule l'initiation gnostique par d'authentiques maîtres spirituels revêt un sens pour l'homme qui y est prédisposé [Guénon], ou seule une attitude aristocratique et distanciée en quête d'influences spirituelles anagogiques - uniquement viables pour l'homme différencié maître de lui-même - permet de s'arracher à la dissolution irrévocable de l'Être [Evola].