Autorisés en 2010, les paris sportifs en ligne font désormais partie du quotidien des quartiers populaires. Mais le développement de comportements addictifs inquiète, encouragés par des publicités ciblées et des partenariats bien choisis.
Dans les rues et les couloirs du métro, une affiche représente un jeune métis, coupe afro, qui brandit un drapeau, le buste à l’extérieur de la voiture qu’il conduit. La scène rappelle les célébrations auxquelles on peut assister les soirs de victoire sportive dans certains quartiers populaires.
Sur les réseaux sociaux, le mot-dièse #BetclicKhalass (#BetclicPaie en arabe dialectal) accompagne une publication qui invite les internautes à tweeter pour gagner des « freebets » (des paris gratuits). Tandis que Winamax fait campagne autour du « roi du quartier », Parions Sport a conclu un partenariat avec le rappeur Hatik… Bref, les sites de paris sportifs tiennent leur cible et ne la lâchent pas : les jeunes de quartiers.
Hamza, 30 ans, habitant de Saint-Denis, est l’un d’entre eux. Il a commencé à parier en 2018 et mise sur le football, parfois le basket. « Je pensais que ça allait m’apporter plus d’argent mais en fait, je perds tout. J’ai plus perdu que gagné. » Il a l’impression de ne pas avoir de chance : « Quand je joue, je gagne pas, je sais pas ce qui m’arrive. Je vois des gens, ils gagnent, ils se mettent bien », confie-t-il avec de l’amertume dans la voix. Le joueur est bien conscient d’être dépendant : « Je sais que c’est comme l’alcool, la cigarette, je me dis qu’un jour je vais arrêter. Parfois, j’y arrive pendant deux-trois semaines, et après je recommence. Là, par exemple, j’ai touché mon RSA le 6, je me suis senti pousser des ailes et j’ai misé 50 euros en suivant des pronostiqueurs, et j’ai encore perdu. »
Les rares fois où il a gagné, Hamza a souvent rejoué une bonne partie de la somme. Il dit avoir gagné environ 400 euros en misant 50 euros un jour (son plus gros gain). Avec, il s’est payé un restaurant puis a misé le reste. « En une semaine, tout est parti. » En faisant rapidement les comptes de tête, il estime avoir perdu 3 000 euros sur les deux dernières années, empruntant parfois de l’argent pour jouer. Pourtant, au début, Hamza pensait avoir trouvé « le bon filon » : « J’avais deux euros et j’en ai gagné 40… »
« Quand tu gagnes, tu te sens super fort. Je gagnais et je mettais ça sur Snap [le réseau Snapchat –ndlr], et il y a beaucoup de très jeunes qui me disaient : “Je te donne 100 euros et tu mises pour moi.” Les gens les paient tous les mois pour avoir des pronostics et espérer gagner mais, en vrai, quand tu gagnes, t’as juste eu de la chance qu’une équipe ait raté son penalty. »
Pour lui, les paris sportifs sont « un vice ». « Je suis très, très conscient du danger que ça peut représenter, et même moi qui suis fort psychologiquement, quand je gagne, je suis souvent pressé de rejouer le lendemain. » Le joueur raconte aussi comment les jeux de hasard et les paris ont toujours été dans son environnement : « Quand j’étais plus jeune, les plus grands du quartier nous envoyaient faire les tickets et ils ne nous disaient pas quand ils perdaient, donc nous, on croyait qu’ils gagnaient tout le temps. »
Aujourd’hui, les PMU sont en perte de vitesse et les paris sportifs ont pris la place.
Le cercle social comme le cercle familial ont un impact sur l’addiction que cela peut engendrer. Armelle Achour rappelle la place que peuvent avoir les jeux de hasard au sein d’une famille : « On avait le PMU qui drainait une population populaire, le parent amenait le fils au PMU. Aujourd’hui, les PMU sont en perte de vitesse et les paris sportifs ont pris la place. Et la socialisation que l’on pouvait trouver lorsqu’on se rendait au PMU se perd et prend une autre forme. Avec les paris sportifs, le jeu entre davantage dans la cellule familiale. L’enfant va voir le parent devant un match et tout va tourner autour du pari, pas du sport. L’enfant est éduqué au jeu au sein même du foyer. »
Au téléphone, la directrice égrène les différentes situations que son association a dû prendre en charge : « 1300 euros de revenus et 42 000 euros de dettes ; vend du cannabis pour s’en sortir ; un jeune homme endetté et qui va avoir un enfant dans cinq mois ; un autre qui a dilapidé les 130 000 euros de l’héritage de son père en paris sportifs… »