À droite, la petite entreprise florissante de Bruno Retailleau
ENQUÊTE - Alors que Laurent Wauquiez peine à s'imposer, le travail du président de Force républicaine séduit de plus en plus d'élus.
Depuis plus d'un an, à la tête de Force républicaine, sans tambour ni trompette, Bruno Retailleau avance ses pions. Et entend bien continuer à tracer son sillon pour « nourrir le débat ». Avec un objectif : « développer une pensée politique qui a vocation à être utilisée par (sa) famille politique ». Bruno Retailleau le répète depuis des mois : tant que LR n'aura « pas renouvelé complètement son logiciel d'idées », le parti ne pourra pas être audible. « Le projet, c'est encore plus important que le casting », ne cesse-t-il de répéter.
Si tous les élus LR ne partagent pas ses idées, ils reconnaissent au président du groupe LR au Sénat une « sincérité » dans ses convictions et « la capacité à faire vivre le dialogue » entre les différentes sensibilités de la droite. Même les ex-LR désormais membres du gouvernement regardent avec intérêt les travaux de Bruno Retailleau. « C'est un Wauquiez sincère », lance, perfide, l'un d'entre eux, pour mieux mettre un coin entre les deux présidents LR, l'un du parti, Laurent Wauquiez, l'autre du groupe au Sénat, Bruno Retailleau.
Si les deux hommes s'affichaient encore ensemble pour les vœux aux parlementaires, mardi soir au siège de LR, l'épisode de la proposition de loi « anti-casseurs » de Bruno Retailleau visant à « prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs » a un peu rafraîchi leurs relations. Alors que les sénateurs et notamment Gérard Larcher se réjouissaient de voir repris par le gouvernement un de leurs textes, Laurent Wauquiez a préféré renvoyer le débat sur la question… de l'état d'urgence. Deux hommes, deux positionnements.
Mauvais sondages
Comme sur la proposition d'un « chèque carburant » pour lutter contre la hausse des prix de l'essence. Un moment imaginée par les LR, elle fut in fine abandonnée. Sollicité par Laurent Wauquiez pour participer à une conférence de presse sur cette question, Bruno Retailleau avait décliné, refusant de soutenir une idée à laquelle il ne croyait pas. « Mon parti doit être un parti de gouvernement et pas dans la surenchère », martèle le président du groupe LR au Sénat, de plus en plus visible.
Selon les données du site Internet Politiquemedia que Le Figaro avait analysées, le sénateur de Vendée incarnait en 2018 la première voix du parti dans les médias. Avec deux fois plus de présence médiatique que Laurent Wauquiez. « Il fait le travail que devrait faire le président du parti », lâchent de plus en plus d'élus LR, entre regret et lassitude. En contact régulier avec l'ensemble des ténors de la droite, Bruno Retailleau parle à tout le monde. À commencer par les intellectuels avec lesquels il s'entretient régulièrement, comme la semaine dernière Alain Finkielkraut.
Alors que les mauvais sondages se succèdent et montrent un parti LR relégué derrière le RN et LaREM, Bruno Retailleau compte poursuivre sur la même lancée avec une méthode: «le travail de fond» et une équipe de fidèles qui l'accompagne depuis des années en Vendée. Et désormais à Paris. Avec quelques permanents et de plus en plus de soutiens, la petite entreprise de Bruno Retailleau s'installe dans le paysage politique. Au point d'entraîner un nombre croissant d'élus à comparer les deux partis, LR et Force républicaine, pour juger de leurs travaux et de leur efficacité.
Depuis novembre 2017, à la tête de Force républicaine, l'ex-parti de François Fillon, Bruno Retailleau organise chaque mois les « Mercredis de Force républicaine » au siège de son parti. Des rencontres retransmises en direct pour les différentes antennes du mouvement sur tous les territoires. Après avoir évoqué en 2018 les questions de l'immigration, de la dépendance, de la dette, de la compétitivité, du terrorisme islamique, de l'école, ou encore de la sécurité, Force républicaine a planché mercredi sur un sujet d'actualité : « La France est-elle réformable? »
Pour préparer les futures conventions et, à la manière de la campagne de François Fillon pendant la primaire, des groupes de travail associant élus et représentant de la société civile planchent déjà sur de nouveaux sujets comme l'écologie, le numérique, la puissance française la bioéthique, etc. Dans le même temps, Force républicaine organise une fois par trimestre des «conventions» thématiques. Après « Peut-on encore sauver l'Europe? », « L'islam et la République », « La droite et la liberté », la prochaine portera au mois d'avril sur « la démocratie ». Des travaux qui donnent lieu ensuite à des propositions envoyées aux parlementaires LR.
Soigner les élus
Surtout, le président de Force républicaine a décidé de lancer un cycle de formations gratuites, intitulées « Politeïa », à l'intention des jeunes, qu'ils soient ou non militants. Un projet que le sénateur LR de Vendée portait depuis des années avec la volonté de « revenir aux idées ». Son obsession toujours, son objectif plus que jamais. Pour le premier cycle de ces conférences gratuites - trois fois deux heures - qui a débuté mardi au siège du mouvement, la philosophe et essayiste Bérénice Levet - auteur du livre Le Crépuscule des idées progressistes - a abordé la question du progressisme. Une heure trente d'un cours exigeant truffé de références philosophiques et délivré devant un public très concentré. Le prochain cycle, au deuxième trimestre, sera conduit par le sociologue Mathieu Bock-Côté sur la nation. Le dernier cycle devrait être consacré à la puissance française.
Si le travail de fond occupe une grande partie de son temps, Bruno Retailleau n'oublie pas de soigner les élus… À Paris ou dans les fédérations LR dont les présidents le sollicitent de plus en plus. « Il m'a reçu en petit comité au cours d'un déjeuner », raconte un député LR, visiblement conquis. « Après la rencontre, il s'est fendu d'un mot de remerciement et d'un coup de téléphone pour poursuivre l'échange. » Désormais, une fois par trimestre, Bruno Retailleau organise aussi des rencontres d'élus en plus grand nombre au siège de son parti. S'ils étaient une trentaine en avril, puis une cinquantaine en octobre, quelque 80 parlementaires ont déjà fait savoir qu'ils seraient présents au prochain rendez-vous, le 23 janvier.
Autant de signes qui au sein de LR ne trompent pas. « Quand j'ai vu qu'il renonçait à la région pour garder le groupe au Sénat, j'ai dit à Laurent : tu sais ce que ça veut dire… », se souvient un proche du président des LR, en voyant une possible compétition. Le nom de Bruno Retailleau est de plus en plus cité par les élus pour prendre la tête de LR après les européennes, en cas de catastrophe électorale. Un scénario que le sénateur n'évoque jamais publiquement et que Laurent Wauquiez balaie d'un revers de la main.
L'avenir à droite, je vous le dis.