SoldatGaulois59
2021-10-02 20:26:30
Un«fou furieux». Quand j’étais journaliste politique, et que je suivais les partis de droite, RPR et UDF, au début des années 1990, c’est ainsi qu’était surnommé Pascal Salin. Tous les leaders gaullistes, Chirac, Juppé, Séguin, Pasqua, et même Balladur, se réconciliaient soudain par miracle pour dire tout le mal qu’ils pensaient de«ce libéral fou». Le temps a passé. Séguin, Pasqua, Chirac sont morts. Juppé s’est retiré dans la maison de retraite cossue du Conseil constitutionnel. Seul Balladur, bon pied, bon œil, esprit toujours vif et acéré à 90 ans passés, continue de distinguer, comme il le faisait dans les années 1980, libéralisme anglo-saxon, mère de tous nos maux, et libéralisme français, respectueux des prérogatives de l’État et des intérêts de la nation. Madelin, après une longue parenthèse d’une dizaine d’années passées dans la finance, a décidé de revenir dans le débat intellectuel et politique. Il a pris du ventre et des rides, mais il est convaincu que ses idées n’ont pris ni l’un ni les autres.
Rien ne semble avoir changé dans le paysage intellectuel et politique français. C’est le point de départ du livre que publie Pascal Salin. Il a rassemblé ses articles parus dans la presse française et étrangère. Des articles remarquables de finesse, et de sens didactique, qui font honneur à notre universitaire. Il se répète souvent, mais la répétition est l’arme absolue de la pédagogie. Il ne varie pas de sa ligne, ce qui pourrait lasser, mais lui permet aussi d’éviter l’effet des modes. Le premier date de 1969, le général de Gaulle règne encore à l’Élysée ; le dernier est de 2018, Emmanuel Macron lui a succédé. Cinquante ans pendant lesquels les dirigeants français, de droite comme de gauche, ont suivi la même politique, «la fameuse pensée unique». Beaucoup de bons esprits pensent de même, mais la plupart d’entre eux accusent le «libéralisme» d’inspirer nos gouvernants.
C’est là que Pascal Salin tranche radicalement. Pour lui, la pensée dominante en France est un «mélange d’attitudes technocratiques et d’une idéologie égalitaire (…) La pensée unique en France n’est pas néolibérale, elle est au contraire interventionniste, constructiviste, et socialisante. Les Français ne savent pas ce qu’est le libéralisme.» Il dénonce sans se lasser cette«confusion des idées en vigueur en France». On le comprend: car,«comme ça ne marche pas, les gens tirent la conclusion que nous avons eu assez de libéralisation et que l’État devrait intervenir plus».
Alors, qu’est-ce que le libéralisme pour Pascal Salin? Notre homme est particulièrement bien placé pour le définir puisque l’économiste fut président de la Société du Mont-Pèlerin, ce Vatican du libéralisme depuis les années 1970. Le libéralisme, ce ne sont pas seulement des privatisations ou des baisses d’impôts. Pas seulement le libre-échange ou la suppression du contrôle des prix ou l’indépendance de la Banque de France (ou européenne). Le libéralisme, c’est la fin du monopole de la Sécurité sociale, de l’éducation nationale, et last but not least, la retraite par capitalisation à la place du système de répartition. Bref, l’Amérique. On comprend qu’à ses yeux, la France soit un pays «collectiviste», voire «totalitaire». Longtemps, il a pensé que ses solutions libérales étaient inacceptables pour la caste au pouvoir et accusera l’ENA de tous les maux. En 2002, alors que son poulain Alain Madelin a pris une rouste électorale (3 % des suffrages à la présidentielle), il comprend qu’elles sont inacceptables pour le peuple français.
Sa désillusion lui inspire des mots d’une drôlerie pleine de lucidité amère: «Longtemps j’ai cru qu’on pouvait appliquer à Jacques Chirac ce que l’on a dit d’un président américain, à savoir qu’il n’avait jamais trahi ses convictions, pour la simple raison qu’il n’en avait pas. Mais la situation est en réalité plus grave car Jacques Chirac a des convictions, mais ces convictions consistent systématiquement à exprimer des opinions de gauche.»
Il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il démolit la vulgate keynésienne qui inspirait notre technocratie après-guerre:«L’inventeur de la plus grande erreur intellectuelle de notre temps, à savoir Keynes, s’il a certes cru que l’on devait et pouvait agir sur la demande globale pour relancer l’activité économique, n’a jamais osé défendre l’idée que la relance par la consommation était concevable.»
Mais lui reste discret sur les apories de la théorie libérale, et cet homo economicus rationnel qui n’existe que dans les rêves théoriques des économistes. Salin a bien sûr admiré en son temps la révolution libérale entreprise par Reagan et Thatcher. Mais il ne veut pas voir les effets pervers du système américain: surendettement colossal des étudiants et coût exorbitant du système de santé. Le système par capitalisation des retraites est à l’origine de la financiarisation de l’économie. La désindustrialisation - qu’il approuvait encore en 2010, («une des facettes du progrès économique») - a détruit et marginalisé les classes populaires françaises, américaines et britanniques, a provoqué les victoires de Trump, du Brexit, et l’explosion des «gilets jaunes».
L’ouverture des frontières a ruiné les classes moyennes occidentales et facilite une invasion migratoire inédite dans l’Histoire. Pascal Salin ose dire que l’action de l’État provoque«la guerre de tous contre tous», alors que tout indique que c’est le recul de l’État (au nom de cet «État de droit» si cher aux libéraux) qui permet l’éclosion des zones où règnent les trafics en tout genre et l’Islam. En France, pays «collectiviste», mais aussi en Angleterre, pays libéral cher au cœur de notre universitaire.
Salin a poussé la droite à accepter l’Europe pour avoir le marché. En face, la gauche, a de même accepté le marché (qu’elle vomit sous le nom d’ultralibéralisme) pour avoir l’Europe. Marché de dupes pour tout le monde.«La société n’existe pas», disait l’idole de Salin, Margaret Thatcher. Notre auteur refuse toute contrainte. Or, le président Pompidou disait:«Gouverner, c’est contraindre». Le libéralisme est un humanisme, nous répète Salin. Mais il s’avère aussi un individualisme puéril et capricieux qui désagrège tout sur son passage. La France est un pays qui est à la fois trop socialiste (comme le dit Salin) mais aussi trop libéral. C’est son drame paradoxal que de cumuler les inconvénients des deux systèmes.
https://image.noelshack.com/fichiers/2017/45/1/1509961055-photo-83857426-1.jpg
Nycolaes
2021-10-02 21:00:32
Le 02 octobre 2021 à 20:26:30 SoldatGaulois59 a écrit :
Un«fou furieux». Quand j’étais journaliste politique, et que je suivais les partis de droite, RPR et UDF, au début des années 1990, c’est ainsi qu’était surnommé Pascal Salin. Tous les leaders gaullistes, Chirac, Juppé, Séguin, Pasqua, et même Balladur, se réconciliaient soudain par miracle pour dire tout le mal qu’ils pensaient de«ce libéral fou». Le temps a passé. Séguin, Pasqua, Chirac sont morts. Juppé s’est retiré dans la maison de retraite cossue du Conseil constitutionnel. Seul Balladur, bon pied, bon œil, esprit toujours vif et acéré à 90 ans passés, continue de distinguer, comme il le faisait dans les années 1980, libéralisme anglo-saxon, mère de tous nos maux, et libéralisme français, respectueux des prérogatives de l’État et des intérêts de la nation. Madelin, après une longue parenthèse d’une dizaine d’années passées dans la finance, a décidé de revenir dans le débat intellectuel et politique. Il a pris du ventre et des rides, mais il est convaincu que ses idées n’ont pris ni l’un ni les autres.
Rien ne semble avoir changé dans le paysage intellectuel et politique français. C’est le point de départ du livre que publie Pascal Salin. Il a rassemblé ses articles parus dans la presse française et étrangère. Des articles remarquables de finesse, et de sens didactique, qui font honneur à notre universitaire. Il se répète souvent, mais la répétition est l’arme absolue de la pédagogie. Il ne varie pas de sa ligne, ce qui pourrait lasser, mais lui permet aussi d’éviter l’effet des modes. Le premier date de 1969, le général de Gaulle règne encore à l’Élysée ; le dernier est de 2018, Emmanuel Macron lui a succédé. Cinquante ans pendant lesquels les dirigeants français, de droite comme de gauche, ont suivi la même politique, «la fameuse pensée unique». Beaucoup de bons esprits pensent de même, mais la plupart d’entre eux accusent le «libéralisme» d’inspirer nos gouvernants.
C’est là que Pascal Salin tranche radicalement. Pour lui, la pensée dominante en France est un «mélange d’attitudes technocratiques et d’une idéologie égalitaire (…) La pensée unique en France n’est pas néolibérale, elle est au contraire interventionniste, constructiviste, et socialisante. Les Français ne savent pas ce qu’est le libéralisme.» Il dénonce sans se lasser cette«confusion des idées en vigueur en France». On le comprend: car,«comme ça ne marche pas, les gens tirent la conclusion que nous avons eu assez de libéralisation et que l’État devrait intervenir plus».
Alors, qu’est-ce que le libéralisme pour Pascal Salin? Notre homme est particulièrement bien placé pour le définir puisque l’économiste fut président de la Société du Mont-Pèlerin, ce Vatican du libéralisme depuis les années 1970. Le libéralisme, ce ne sont pas seulement des privatisations ou des baisses d’impôts. Pas seulement le libre-échange ou la suppression du contrôle des prix ou l’indépendance de la Banque de France (ou européenne). Le libéralisme, c’est la fin du monopole de la Sécurité sociale, de l’éducation nationale, et last but not least, la retraite par capitalisation à la place du système de répartition. Bref, l’Amérique. On comprend qu’à ses yeux, la France soit un pays «collectiviste», voire «totalitaire». Longtemps, il a pensé que ses solutions libérales étaient inacceptables pour la caste au pouvoir et accusera l’ENA de tous les maux. En 2002, alors que son poulain Alain Madelin a pris une rouste électorale (3 % des suffrages à la présidentielle), il comprend qu’elles sont inacceptables pour le peuple français.
Sa désillusion lui inspire des mots d’une drôlerie pleine de lucidité amère: «Longtemps j’ai cru qu’on pouvait appliquer à Jacques Chirac ce que l’on a dit d’un président américain, à savoir qu’il n’avait jamais trahi ses convictions, pour la simple raison qu’il n’en avait pas. Mais la situation est en réalité plus grave car Jacques Chirac a des convictions, mais ces convictions consistent systématiquement à exprimer des opinions de gauche.»
Il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il démolit la vulgate keynésienne qui inspirait notre technocratie après-guerre:«L’inventeur de la plus grande erreur intellectuelle de notre temps, à savoir Keynes, s’il a certes cru que l’on devait et pouvait agir sur la demande globale pour relancer l’activité économique, n’a jamais osé défendre l’idée que la relance par la consommation était concevable.»
Mais lui reste discret sur les apories de la théorie libérale, et cet homo economicus rationnel qui n’existe que dans les rêves théoriques des économistes. Salin a bien sûr admiré en son temps la révolution libérale entreprise par Reagan et Thatcher. Mais il ne veut pas voir les effets pervers du système américain: surendettement colossal des étudiants et coût exorbitant du système de santé. Le système par capitalisation des retraites est à l’origine de la financiarisation de l’économie. La désindustrialisation - qu’il approuvait encore en 2010, («une des facettes du progrès économique») - a détruit et marginalisé les classes populaires françaises, américaines et britanniques, a provoqué les victoires de Trump, du Brexit, et l’explosion des «gilets jaunes».
L’ouverture des frontières a ruiné les classes moyennes occidentales et facilite une invasion migratoire inédite dans l’Histoire. Pascal Salin ose dire que l’action de l’État provoque«la guerre de tous contre tous», alors que tout indique que c’est le recul de l’État (au nom de cet «État de droit» si cher aux libéraux) qui permet l’éclosion des zones où règnent les trafics en tout genre et l’Islam. En France, pays «collectiviste», mais aussi en Angleterre, pays libéral cher au cœur de notre universitaire.
Salin a poussé la droite à accepter l’Europe pour avoir le marché. En face, la gauche, a de même accepté le marché (qu’elle vomit sous le nom d’ultralibéralisme) pour avoir l’Europe. Marché de dupes pour tout le monde.«La société n’existe pas», disait l’idole de Salin, Margaret Thatcher. Notre auteur refuse toute contrainte. Or, le président Pompidou disait:«Gouverner, c’est contraindre». Le libéralisme est un humanisme, nous répète Salin. Mais il s’avère aussi un individualisme puéril et capricieux qui désagrège tout sur son passage. La France est un pays qui est à la fois trop socialiste (comme le dit Salin) mais aussi trop libéral. C’est son drame paradoxal que de cumuler les inconvénients des deux systèmes.
https://image.noelshack.com/fichiers/2017/45/1/1509961055-photo-83857426-1.jpg
Mon Dieu, quel ramassis de conneries
Merci pour le partage de l'article, néanmoins, c'est édifiant