sanek_
2020-03-23 18:40:52
Partie 9 :
Louise sauta plus rapidement du lit que lui. Elle fonça dans sa chambre, le laissant seul face à ses doutes.
« Veuillez sortir calmement de vos maisons. Ne prenez aucune affaire. Veuillez sortir calmement de vos maisons. Ne prenez aucune affaire... »
- Je suis prête, entendit-il, dépêche toi !
Les jambes engourdies, Julien la retrouva dans le couloir. Elle portait une petite valise rouge.
- Ben quoi, c’est juste mes produits d’hygiène et de quoi me changer…
- Louise, écoute, on ne sait pas ce qu’ils vont faire de nous, je ne leur fais pas confiance...
- Comment ça ? Ils vont juste nous évacuer !
Comment la convaincre ? Il n’avait que des messages Telegram à la fiabilité douteuse et son instinct. Il voulait tellement y croire aussi, monter dans le camion, suivre les consignes, être en sécurité, retrouver l’eau courante et ses parents. Julien ne les abandonnerait plus.
Il lui suffisait de taire ce pressentiment viscéral et d’écouter Louise. Qui sait ? Peut-être pourraient-ils rester ensemble ? C’était tentant, vraiment tentant.
- Bon, bon, t’as gagné, mais laisse la valise, ils vont te la jeter. Et ne discute pas sinon tu pars toute seule !
- Si mes trucs ont disparu quand on reviendra, tu vas tout me racheter !
- Louise, personne ne volera tes culottes et ton mascara en pleine putain de pandémie !
Elle le menaça encore, pour le principe, puis elle le tira vers la porte d’entrée. A travers la vitre du hall, Julien vit des gens sortir par dizaine des bâtiments voisins. Des personnes âgées, des couples avec enfants, des femmes et hommes seuls. Des citoyens ordinaires qui avaient vu leur quotidien virer au cauchemar. Certains portaient des masques chirurgicaux, d’autres des foulards autour du visage.
Trois camions vert kaki occupaient le boulevard. Un groupe de militaires, presque habillés en cosmonautes, faisaient s’aligner tout le monde. Les gens montèrent un à un tandis qu’une pile de valises se formaient sur le trottoir.
- Qu’est ce qu’on attend, s’impatienta Louise, ils vont partir sans nous !
Quelque chose clochait. Son instinct lui hurlait de réfléchir, que la réponse était évidente, juste là sous son nez ! Mais quoi ?!
- Le nez !
- Le nez ?
- Oui ! Pourquoi ils font confiner les gens pendant des semaines pour ensuite mélanger tout le monde dans des camions ! Ils ne leur ont donné aucun masque !
Louise lui secoua le bras.
- J’en sais rien, ils se foutent qu’on se contamine puisqu’ils ont surement un traitement là où nous allons !
Était-elle trop naïve ou lui trop paranoïaque ?
A l’extérieur, la foule s’était dissipée et les derniers montaient tranquillement.
- Julien, moi je sors !
L’attentiste ne pouvait plus attendre que le sort décide pour lui. Il fallait choisir, tout de suite !
Il plaqua Louise contre le mur, étouffant son cri avec sa main. Il gémit la seconde suivante. La garce venait de le mordre. Ils s’engagèrent dans un combat sauvage qui se poursuivit au sol. Julien l’avait sous-estimé. Il craignant de ne pas pouvoir la retenir plus longtemps sans prendre le risque de lui faire sérieusement mal.
- Mais qu’est-ce que vous faites, hurla une femme et les deux colocataire se relevèrent, sur leurs gardes.
Ils la virent lutter contre les militaires, refusant d’abandonner le petit chien blanc qu’elle cachait sous sa veste. Finalement, l’un d’eux lui donna un coup de crosse sur le crâne et elle s’effondra. Une autre femme, plus jeune, sauta du camion pour aller à son secours. Elle bénéficia du même traitement.
Le soldat fit alors face au petit chien, transformé en bête de guerre, aboyant sa rage, réclamant vengeance.
Il alla se fracasser contre le mur d’une maison cinq mètres plus loin, cueilli par un spectaculaire coup de botte.
- Oh merde… murmura Louise, la voix brisée.
De sa même prodigieuse botte, le militaire cogna plusieurs fois la tête de sa maîtresse. Une mare de sang s’était déjà formée autour de la deuxième femme. Il la gratifia par principe de quelques coups dans les côtes avant de faire signe au reste de la troupe.
Les camions démarrèrent alors sous les protestations des gens mais personne ne tenta quoi que ce soit.
Les héros ne survivent pas.
Julien dut presque porter Louise à sa chambre. En état de choc, elle frissonnait, pleurait, marmonnait des choses, puis pleurait à nouveau. Lorsqu’il voulut maladroitement la prendre dans ses bras pour la calmer, Louise se débattit en hurlant.
Dépassé, il s’isola pour réfléchir. C’était catastrophique. Les pires rumeurs semblaient se confirmer.
Le militaire avait assassiné deux femmes et un chien devant des centaines de témoins sans que cela ne lui pose problème, comme s’il était intouchable ! ... ou qu’il obéissait à des ordres ?
78% de batterie et aucune barre. Julien ne croyait plus que le réseau reviendrait. Ni qu’il reverrait ses parents.
Cette pensée le glaça. Que devait-il faire maintenant, sans eux, sinon survivre ?
Un nouveau palier avait été franchi par le gouvernement. La vie humaine, en zone contaminée, avait perdu toute valeur.
Qu’importe, il survivrait. Ils survivraient.
- Ca sent bon, souffla Louise en entrant. Tu fais ça comment ?
- Bonbonne de gaz de chez Decathlon. Ce soir, c’est pâtes au pesto !
Il avait décidé de cuisiner dans sa chambre pour ne pas attirer l’attention. Après ce qu’il avait vu, Julien ne souhaitait certainement pas confier son destin aux bottes étatiques.
Louise avait une mine défaite. Le mascara avait coulé sur ses joues et ses cheveux s’étaient emmêlés.
Elle s’assit en tailleur face au réchaud.
- J’imagine que je ne vais pas pouvoir te rembourser avec le colis alimentaire que nous devions recevoir…
- Non, mais si on doit partager nos ressources, alors tu dois me faire entièrement confiance !
Elle acquiesça et fut prise d’un frisson.
Julien ne protesta pas quand elle le tira vers elle. Il coupa le gaz et leur servit à chacun une assiette copieuse. Ils mangèrent silencieusement épaule contre épaule, et la nuit prit ses quartiers.
- Tu crois qu’on va mourir ? demanda-t-elle, très sérieuse.
- Non, enfin pas si on fait attention.
Silence.
- Pourquoi tu tiens tant à te battre ? Tu as quelqu’un qui t’attends ? Enfin je veux dire, tu as quelqu’un ?
Silence.
- Moi je manquerai à personne.
Silence.
- Tu me manqueras à moi, alors mourir n’est pas une option.
Elle sourit et glissa son bras sous le sien. La bougie faisait briller ses yeux. Louise était belle, comment diable ne l’avait-il pas remarqué plus tôt ?
Imperceptiblement, leurs bouches se rapprochèrent. Son coeur battait vite. Il ne recula pas.
Les lèvres de Louise se déposèrent sur les siennes, chaudes, légèrement humides, douces. Julien n’eut pas à s’inquiéter de la suite. Il n’avait rien à faire si ce n’était suivre sa colocataire dans ce baiser d’une tendresse infinie. Le temps n’existait plus, rien d’autre ne comptait que cette femme qu’il se jura de chérir et protéger.
Ce serment, il le tiendrait, quoi qu'il lui en coûte.
Une petite langue agile s’infiltra à la recherche de la sienne, farouche et espiègle, à l’image de Louise. Ils s’embrassèrent plus violemment, comme s’ils ne verraient plus le jour, comme si chaque seconde devait être impérieusement vécue.
Elle gémit quand il mordilla sa lèvre et il gémit à son tour à sa riposte. Le goût métallique dans sa bouche lui parut être un rappel de l’urgence à ne faire qu’un, ensemble, là tout de suite, avant que le monde, l’horreur de la réalité, ne les rattrapent.
Louise s’allongea, entraînant Julien contre elle, soudainement prisonnier de ses jambes.
Elle l’embrassa aussitôt, pressant son bassin contre le sien mais Julien n’osait brusquer les choses. Ses mains restaient timidement attachées aux flancs de sa colocataire, figées par des ordres contradictoires.
Louise finit par les décoller pour les poser sur ses seins en une invitation sans équivoque.
Invitation à laquelle il répondit en les malaxant maladroitement, ébahi et submergé par le désir.
Des jappements aigus suivis de grattements sur la porte les coupèrent net. Il fit un bond en arrière, s’étalant sur le lit.
- Julien, le petit chien !
Oui, il s’en doutait aussi. Jamais de toute sa vie le jeune homme n’avait autant eu de haine pour un être vivant. Ce chien venait de ruiner le plus beau moment de sa morne existence. Existence qui serait d'ailleurs très courte s’il ameutait une patrouille.
- Va voir ! supplia Louise, il est surement gravement blessé !
- Bordel de merde, grommela-t-il, reste ici !
Il préférait gérer ce problème seul.
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