En 2016, Sciences et Avenir relatait l'histoire cauchemardesque d'une colonie de fourmis qui tentait tant bien que mal de survivre dans un ancien bunker soviétique situé dans l'ouest de la Pologne. Elles étaient étudiées par une équipe de chercheurs polonais qui avaient alors publié une étude. Trois ans plus tard, cette même équipe donne des nouvelles des insectes maudits en répondant notamment à une question : comment ont-ils pu se nourrir pendant toutes ces années alors qu'ils étaient coupés du monde extérieur ?
Une vie sans lumière, sans végétation et dans le froid
Cette colonie de fourmis Formica polyctena, un peu particulière (elle ne comprend que des ouvrières), avait été découverte en 2013 dans un bunker soviétique abandonné situé dans une forêt proche de la frontière avec l'Allemagne. Sans lumière, sans source de nourriture, sans aucune végétation et avec des températures négatives l'hiver et atteignant difficilement les 10°C l'été, ces insectes ont survécu durant des années. Les chercheurs avaient découvert qu'une autre colonie, à l'air libre celle-ci, vivait au-dessus de l'abri militaire. Et là était le piège : des fourmis tombaient régulièrement dans la colonne de ventilation du bunker. Les insectes surpris étaient ensuite incapables de retrouver leur chemin : aucun n'avait par exemple été repéré au plafond. Une fois dans le bunker, les fourmis étaient donc condamnées. Si l'espérance de vie des insectes emprisonnés était alors très faible, elle était compensée par les chutes quotidiennes de nouvelles fourmis. Elles étaient alors environ un million en vie dans le bunker.
"Les cadavres constituaient une source inépuisable de nourriture"
Mais la question restait encore entière concernant la nourriture. Si en 2016 les chercheurs croyaient peu au cannibalisme, ils ont cependant mené une étude pour écarter définitivement cette possibilité. Pour cela, ils ont collecté 150 cadavres de F.polyctena - sans trop de mal, le sol du bunker étant recouvert au bas mot de 2 millions de cadavres - pour les observer à la loupe. Ainsi, ils pouvaient voir des traces de morsures et des trous dans le corps indiquant que celui-ci avait commencé à être consommé. "Seuls les corps avec un abdomen ou des abdomens détachés ont été comptés afin d'éviter d'enregistrer deux fois les mêmes cadavres. Si un cadavre était fortement détruit ou brisé en très petits morceaux, il n'était pas pris en compte", précisent les biologistes dans leur nouvelle étude parue le 4 novembre 2019 dans le Journal of Hymenoptera Research. Selon les résultats obtenus, 93% des corps collectés dans le cimetière comprenaient des traces de morsure ainsi que des déchirures de l'abdomen. La survie de cette colonie maudite a donc bien été permise par la chute constante de nouveaux travailleurs et par l'accumulation de cadavres. "Les cadavres constituaient une source inépuisable de nourriture, ce qui permettait la survie des fourmis piégées dans des conditions par ailleurs extrêmement défavorables", remarquent les chercheurs. Chez cette espèce, un tel comportement peut être observé notamment quand une nourriture riche en protéine manque. Il se produit normalement durant la "guerre des fourmis", une période durant laquelle les colonies voisines délimitent violemment les frontières de leur territoire. Cette bataille fournit parallèlement de la nourriture aux survivantes grâce au nombre élevé de victimes.
Des fourmis libérées par les chercheurs
Touchés par la triste vie de ces fourmis, les scientifiques ont décidé de les libérer en 2016. Dans un premier temps, un groupe de 100 fourmis a été sortis du bunker et placé à proximité de la colonie d'origine située à l'extérieur. Comme prévu, aucune agression n'a eu lieu confirmant le lien qui les unit. Ensuite, une poutre en bois de trois mètres a été construite, plantée dans le sol du bunker au niveau de la fourmilière et nichée dans le conduit de ventilation. Rapidement, des fourmis ont commencé à grimper à la recherche de la liberté. En février 2017, le bunker était quasiment vide. Mais la colonie est toujours au-dessus de la ventilation et des insectes y tombent encore. Cependant maintenant, ils peuvent remonter.