ghostfag_lambda
2023-03-22 20:22:24
- Au tribunal de Paris, le mythe du « casseur » se dégonfle
Sept manifestants interpellés samedi et dimanche à Paris passaient en comparution immédiate ce mardi. Une étudiante en psychologie, un agent immobilier, une graphiste ou un prof... Si les autorités accusent des « ultras » de semer le chaos, la moisson judiciaire paraît modeste.
Mais où est la horde de jeunes « casseurs » prête à mettre la France à feu et à sang depuis le passage du 49-3 ? À regarder les chaînes d’information en continu, à écouter le préfet de police de Paris, ceux qui s’en prennent aux forces de l’ordre à coup de pavés, brûlent des poubelles et saccagent le mobilier urbain ont été interpellés.
- « Il n’y a pas d’interpellation injustifiée »*, insistait ce mardi sur BFMTV le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez. *« Les forces de l’ordre n’interviennent que quand il y a des exactions »*, ajoutait-il. *« Moi je peux vous le dire, sur les interpellés qu’on a faits samedi soir, il y a beaucoup de gens qui sont fichés S, de la mouvance ultragauche, qui se revendiquent anarchistes »*, jurait le syndicaliste policier Matthieu Valet sur la même chaîne.
D’après un premier bilan dressé par le parquet de Paris, les manifestations qui se sont tenues du mercredi 15 au samedi 18 mars ont donné lieu à 442 gardes à vue. On y trouve des mineurs autrichiens en [voyage scolaire](https://www.liberation.fr/checknews/arrestations-lors-de-la-manifestation-a-concorde-lambassade-dautriche-intervient-pour-la-liberation-de-deux-ados-20230321_BLKEGCCVENAN7IASFUCQ66F2SE/?redirected=1) ou un homme en train de faire un footing, *« au mauvais endroit au mauvais moment »*, selon France Inter. Seules 52 personnes, soit 12 % des gardé·es à vue, ont finalement été déférées devant la justice.
Le parquet de Paris revendique une *« réponse pénale graduée »* en fonction de la gravité des faits et de la personnalité des auteurs : certains sont convoqués devant le délégué du procureur pour un avertissement, d’autres devant le tribunal correctionnel. Mais le haut du panier, supposément poursuivi pour de graves exactions, était introuvable ce mardi au tribunal judiciaire de Paris.
Mediapart a assisté au procès de sept manifestant·es jugé·es en comparution immédiate après avoir été interpellé·es samedi place d’Italie ou dimanche à Châtelet, à Paris. Leur profil est bien éloigné du portrait alarmant dressé par les autorités.
Arrêtée samedi, Atossa S., Française d’origine iranienne de 25 ans, est poursuivie pour « outrage » et « violences » sur deux policières et pour avoir refusé de livrer le code de son téléphone portable. Lors de la manifestation qui a eu lieu place d’Italie, cette étudiante en Master 2 de psychologie clinique, toute menue, aurait lancé *« bande de fils de pute, je vais vous niquer »* aux deux agentes. Elle aurait ensuite mordu l’une, avant d’arracher le casque de l’autre.
- Une étudiante en psycho « parfaitement inconnue des services de police »
Dans le box des prévenus, Atossa S. semble aussi apeurée qu’épuisée et demande le renvoi de son affaire pour mieux préparer sa défense. Avant de le lui accorder (c’est un droit), la présidente rappelle qu’elle est *« absolument inconnue de la police et de la justice »*. Cette jeune femme qui souhaite devenir psychologue et travaille déjà dans un centre médico-psychologique une partie de la semaine, s’est montrée *« particulièrement calme et coopérante »* selon les enquêteurs qui l’ont trouvée *« très affectée par son interpellation ».*
- « Selon ma fille, ce sont les policiers qui l’ont traitée de “sale pute”. Regardez-la, comment voulez-vous qu’elle morde une policière et arrache le casque d’une autre, face à des forces de l’ordre en nombre et entièrement équipées ? C’est un mensonge »*, lâche le père d’Atossa S. à Mediapart. *« Elle est engagée et manifeste pour défendre le droit des femmes en Iran ou contre la réforme des retraites, mais elle a toujours été pacifique »*, ajoute-t-il.
- « Bien entendu je n’entends pas requérir la détention provisoire »*, rassure le procureur, qui réclame toutefois un contrôle judiciaire strict, avec l’interdiction de participer aux prochaines manifestations parisiennes.
Son avocate, Camille Vannier, évoque ce qui n’apparaîtrait pas sur les PV de police : la violence de son interpellation. *« Ma cliente est accusée d’avoir mordu un policier qui n’a reçu aucune ITT. Mais elle, elle est couverte de marques partout sur son corps et a reçu trois jours d’ITT qui n’apparaissent pas dans son dossier »*, dénonce-t-elle. Le crop top d’Atossa S. laisse apparaître quelques hématomes sur son ventre. Camille Vannier met en garde le tribunal : *« Interdire aux gens de manifester, c’est peut-être la raison de toutes ces interpellations, mais cela doit rester exceptionnel. Ce serait surréaliste. Je vous demande de jouer votre rôle de garant des libertés individuelles. »*
L’affaire est renvoyée au 18 avril prochain, avec l’interdiction pour la jeune fille de manifester dans la capitale d’ici là.
Plus tôt dans l’après-midi, Benoît D., un professeur trentenaire et barbu, au casier vierge, comparaissait pour « rébellion » et « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Il lui est reproché d’avoir renversé une moto de la BRAV-M, samedi soir, aux alentours de la place d’Italie - ce qu’il dément.
Jusqu’à son procès, renvoyé au 4 avril prochain, lui aussi a l’interdiction de participer à des manifestations. *« Le droit de manifester est un droit constitutionnel mais on ne commet pas d’infraction »*, commente le président, comme si Benoît D. avait déjà été déclaré coupable, avant de le laisser partir.
Dans les couloirs du tribunal de Paris, des avocats intervenus en garde à vue ces derniers jours s’étonnent des pratiques du parquet. Comme pendant le mouvement des Gilets jaunes, celui-ci prononcerait en masse des interdictions de manifester ou de se rendre à Paris à l’occasion des « avertissements probatoires » (le nouveau nom du rappel à la loi). Il confisquerait aussi les téléphones de ceux qui refusent de donner leur code de déverrouillage. Et exercerait une forme de chantage à la comparution immédiate pour ceux qui ne veulent pas donner leurs empreintes. Le tribunal judiciaire de Paris a déjà prévu de créer une troisième chambre de comparutions immédiates, jeudi 23 mars, pour faire face à l’afflux de manifestant·es poursuivi·es.