Reprise du folklore par les forumeurs anglo-saxons et la communauté du gaming, l'expression est désormais utilisé par certains internautes pour exprimer discrètement leur antisémitisme, leur complotisme, ou les deux.
Pour la plupart des gens, le golem est une créature issue de la mystique juive, popularisé par le folklore d'Europe centrale où il est une figure faite d'argile et animée par des rabbins pour protéger les juifs des pogroms, notamment à Prague. On le retrouve également dans de nombreuses oeuvres fantastiques, et particulièrement les jeux vidéo, avec plus ou moins de fidélité à la légende originelle, devenant une créature généralement associée à un élément et assujettie à un magicien. Mais, sur toute une frange d'Internet, le golem a une autre signification relevant à la fois de la culture du troll et de l'antisémitisme.
L'utilisation du mot «golem» pour désigner des individus «programmés à obéir» trouve ses origines sur le web anglo-saxon et particulièrement sur ce qu'il produit de pire. Cette utilisation apparaît notamment en 2018 dans un topic (sujet de conversation sur un forum de discussion en ligne) d'une subdivision du forum 4chan où se rassemblent les membres les plus racistes, antisémites et haineux. Ils y avancent par exemple que les Juifs considéraient «les non-Juifs comme des golems» car «dépourvus d'âmes». Ou encore qu'ils «contrôlent et endoctrinent» les enseignants pour «laver le cerveau, principalement des femmes, pour détruire l'Occident», les transformant en «golems».
Vaccinés, militants de gauche, fumeurs...
Il apparaît dans un autre contexte sur le tristement célèbre forum 18-25 du site jeuxvidéo.com au cours de l'année 2020, au début de la crise sanitaire. Le golem y est défini ainsi : «Personne dénuée de libre arbitre ou de pensée critique, obéissant à l'autorité et notamment au gouvernement sans remettre en question ce qu'on lui impose.» Il est d'abord utilisé dans des topics parlant de théories conspirationnistes, comme celle de la mise en place d'un pseudo «nouvel ordre mondial», avant de se diffuser largement au sein de la communauté du forum.
Le terme est devenu tellement populaire qu'il se trouve parmi les mots-clés les plus utilisés par les membres. Des centaines de sujets ont été ouverts pour fustiger des catégories aussi variées que les personnes qui se vaccinent ou portent un masque (des «golems» qui suivent les recommandations des autorités sanitaires), ceux qui fêtent la Saint-Valentin, les militants de gauche, les fumeurs ou même les propriétaires de produits Apple... Au point d'en devenir presque une blague.
Les manifestants qui se mobilisent contre les mesures sanitaires sont également considérés comme des «golems» puisque, culture du troll oblige, les forumeurs s'attaquent à tout le monde et notamment à ceux accusés d'adopter des comportements grégaires. Aussi très utilisé dans les communautés jeux vidéo, il désigne ceux qui jouent sans fantaisie ni audace et qui se contentent de reproduire des stratégies déjà existantes.
Des centaines de mèmes et gifs
L'utilisation du mot «golem» pour désigner de soi-disant personnes sans libre arbitre s'est exportée au-delà du forum 18-25 et des communautés de gamers. C'est devenu une alternative à l'expression générique «PNJ» («personnage non-joueur», c'est-à-dire contrôlé par l'intelligence artificielle) pour désigner le manque d'esprit critique et l'asservissement par «le système». Notamment sur Twitter où les messages reprenant le terme, principalement à teneur complotiste ou haineuse, sont nombreux.
En août, l'expression s'est même retrouvée bien involontairement sur BFMTV à l'occasion d'un reportage sur les applications de rencontres où le fait d'être vacciné ou non était devenu un critère de sélection. Une jeune femme interviewée expliquait avoir reçu un message d'un jeune homme, image à l'appui, lui ayant envoyé «sélection naturelle pour les golems de ton acabit» lorsque cette dernière lui avait expliqué avoir reçu une dose de vaccin. Les membres du 18-25 avaient célébré cette mise en lumière de leur vocabulaire et de leur «délire».
Le terme a tellement pris dans cette sous-culture du web que des centaines de mèmes et de gifs ont été créés pour l'illustrer, notamment en utilisant des avatars de la créature du folklore juif sur le front duquel est inscrit en hébreu le mot «vérité», généralement lardé de piqûres pour illustrer sa vaccination.
Un référentiel hébraïque et un imaginaire complotiste qui font fureur chez les antisémites. Certains mèmes le sont ainsi franchement?: comme cette image où, au lieu du mot «vérité», est inscrit sur le front de l'avatar le terme «impur», toujours en hébreu. Un code reprenant la théorie complotiste voulant que la pandémie ait été provoquée par la communauté juive. Autre exemple, l'image de l'économiste français Jacques Attali avec pour légende «ta muselière le goy» pour dénoncer le port du masque. Ou encore ceux utilisant la photo de Claude Posternak, interpellé par le général Delawarde à l'origine du slogan antisémite «Qui??», dont Libération avait révélé le sens caché . Sur le 18-25, des forumeurs revendiquent d'ailleurs le caractère «plus antisémite» du terme «golem» par rapport à «PNJ».
Pour Libération , depuis des années, le Web est un terrain journalistique à part entière. Et sur ce grand terrain, ce qui nous intéresse particulièrement, ce sont les «marges». Radicalités de droite, de gauche. Mais aussi la sphère complotiste. Le projet IRL est là pour ça?: décrypter l'influence des radicalités en ligne. Retrouvez tous les articles de la rubrique IRL ici.
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