Malafede
2021-11-19 13:21:36
Le 11 août 2020, Ulysse Tâm Hà Duong, un jeune homme de 25 ans qui se destinait à une carrière militaire est brutalement décédé suite à l’ingestion d’une plante toxique au cours d’un stage de survie pourtant « supervisé » et présenté comme « tous publics » par son organisateur.
Le 13 avril 2021, la petite Mia est enlevée chez sa grand‑mère par trois hommes proches de la mouvance survivaliste. Une expédition quasi‑commando d’un groupe structuré autour d’un « gourou », animateur, réfugié en Malaisie, d’une communauté complotiste se réclamant des thèses de l’ultra‑droite.
Le 11 mai 2021, Valentin Marcone, survivaliste lourdement armé, fasciné par les arsenaux de guerre, abat son patron et son collègue dans une scierie des Cévènes. Il est arrêté après une traque de plus de trois jours ayant mobilisé près de 350 militaires.
La médiatisation de ces tragiques exemples, aussi différents que significatifs, a permis de mettre en lumière et d’appeler l’attention sur le danger causé par le manque de contrôle et d’encadrement de ce type de pratiques, aussi diverses que méconnues.
C’est un véritable phénomène de société : autrefois une activité de niche, pratiquée par des spécialistes, les stages de survie et pratiques survivalistes se sont largement démocratisés au cours des dernières années. Leur succès a donné lieu à une diversification et à une explosion incontrôlée de l’offre pour des camps, stages, séminaires et séjours survivalistes en tous genres. Aujourd’hui, en l’absence de statistiques officielles, on estime que ce sont entre 100 000 à 150 000 personnes par an qui sont concernées.
Les motivations et les raisons de ce succès sont variées. Si se réclament du survivalisme aussi bien des amoureux de la nature, que des jeunes en quête d’aventure, inspirés par des émissions de télévision, la montée et la banalisation des discours antisystème, violents, insurrectionnels et complotistes fait qu’on y on y retrouve aussi, et de plus en plus, toute une frange hautement politisée de l’extrême‑droite qui utilise ce prétexte afin d’organiser de véritables camps d’entrainement paramilitaire et d’embrigadement idéologique.
Déjà en 2014, le polémiste Alain Soral avait attiré l’attention en promeuvent sur le site d’ Égalité et Réconciliation, média en ligne notoirement antisémite et homophobe, sa société de séjours immersifs, proposant de former, pour 200 euros, les « citoyens responsables » à la « défense », au « lien social » et aux « premiers soins ». A première vue, ce stage paraît inoffensif. Mais la vidéo de promotion en livre un tout autre visage : On y découvre l’initiation des stagiaires au self‑défense et au maniement d’armes à feu mais aussi leur participation à d’obscures conférences sur « le cerveau triunique et le conflit ».
Le réseau est organisé et international : un Français, installé en Pologne, vend ainsi sur son site des « formations antiterroristes » à Varsovie, des initiations au tir de combat, le temps d’un week‑end à 399 euros.
Pourtant, dans l’arsenal législatif et règlementaire français, aucun cadre n’est donné spécifiquement à l’organisation de tels stages de survie. La question avait bien été soulevée au Sénat, le 16 mars 1989, par Philippe Madrelle, qui, dans une question écrite, avait partagé son inquiétude quant à l’organisation de tels stages. Réponse sans équivoque du ministère du travail, le 12 avril 1990 : « Aucune disposition législative ou réglementaire ne fixe à l’heure actuelle un cadre juridique spécifique aux stages dits “de motivation” ou de “survie” ». Depuis, aucune législation n’a été mise en place. Aucun diplôme n’existe spécifiquement pour attester officiellement des compétences des formateurs qui encadrent les stages de survie. Aucune coordination européenne n’est mise en place sur ces enjeux.
Aussi, nous sommes aujourd’hui face à un véritable vide juridique !
Si l’on exige des compétences particulières et toutes sortes de certifications pour diriger des colonies de vacances, enseigner la voile, le parachute ou être guide de haute montagne, aucun contrôle n’existe pour les stages de survie. Si l’on s’inquiète des dérives idéologiques, politiques et sectaires d’établissements scolaires, religieux et sportifs, aucune étude ou enquête sérieuse ne s’intéresse au développement du suvivalisme malgré la menace concrète que représentent le terrorisme d’extrême‑droite ou le développement de groupuscules paramilitaires qui peuvent lui être directement ou indirectement associés.
Les partisans de l’Action des forces opérationnelles (AFO), cellule d’ultradroite à tendance survivaliste démantelée en 2018, avaient ainsi prévu des zones de repli, constitué des stocks de nourriture, de produits de première nécessité et de médicaments. Ils comptaient dans leurs rangs des profils d’anciens militaires et policiers et cherchaient activement à recruter dans ces cercles.
Ainsi, si l’on peut parfaitement être survivaliste sans partager une idéologie identitaire, les adeptes d’extrême‑droite représentent bien l’une des sous‑familles de cette pratique très hétérogène et stimulée par la crise sanitaire.
Les offres sérieuses, proposées par des professionnels compétents, existent pourtant. Par exemple, de nombreux organismes imposent à leurs instructeurs une formation équivalente à trois années d’étude au Centre d’études et d’enseignement des techniques de survie (CEETS) pour exercer.
Néanmoins, lorsqu’ils sont mal organisés, par des personnes inaptes à encadrer des groupes dans des environnements à risques, motivés par des seules considérations financières, ou dans une volonté d’embrigadement idéologique, ce type de stages peut mettre en péril la vie, la santé, la sécurité ainsi que l’intégrité physique et morale des participants.
La gestion de telles activités demande des aptitudes et des compétences complètes et précises. Les professionnels sont d’ailleurs les premiers à réclamer la définition de règles et de normes claires, en atteste la récente création d’un « cercle de réflexion sur la survivologie » regroupant les principaux acteurs du secteur.
Au‑delà du risque individuel, quand des adeptes de la guerre ethnique ou du conflit civil radical, s’arment et s’entrainent pour pallier une supposée défaillance des pouvoirs publiques il y a généralement l’idée c’est l’État lui‑même qui est l’ennemi. On ne compte plus les appels de cette extrême‑droite radicale à s’organiser en contre‑société à finalité insurrectionnelle et dont les relais politiques sont de plus en plus assumés, visibles et influents.
Laurent Nuñez, le coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme l’a lui‑même reconnu : « Certaines catégories d’individus de l’ultradroite issus de mouvances suprémacistes blanches ou néonazies peuvent prôner le survivalisme comme théorie pour faire sécession, pour s’organiser quand arrivera le grand chaos qu’ils prophétisent »
Afin de réguler, il faut d’abord définir les contours et l’ampleur du phénomène considéré. L’article 1 prévoit ainsi que le Gouvernement remette au Parlement un rapport dressant un état des lieux exhaustif de la mouvance dite « survivaliste », de son développement, des dérives constatées et des menaces associées. L’article 2 établit les exigences minimales de ce rapport qui doit notamment fournir une estimation chiffrée du nombre de personnes concernées, une analyse de la structure du marché et des différentes sources de financement venant abonder les structures et groupements visés ainsi qu’une synthèse des normes et obligations existantes. Afin de s’assurer d’un débouché concret, l’article 3 précise que ce rapport devra également formuler des propositions quant à la règlementation de cette activité, la mise en place d’un agrément pour les associations concernées, la rédaction d’un code de déontologie et à la mise en place d’une habilitation préalable pour les instructeurs, organisateurs et encadrants. L’article 4 définit des dispositions transitoires à la mise en place effectives de ces mesures, notamment une obligation de déclaration en préfecture de l’organisation de telles activités.