Les procès d’Ancien Régime où sont jugées plusieurs brutalités, ceux où l’affrontement ne se limite pas à celui du violeur et de la victime, sont les plus révélateurs de cette tolérance diffuse. Ils mettent en scène une attitude d’ensemble, une façon particulière de juger le sang et les coups. Ce qu’illustre l’affaire d’Auxerre, par exemple, en 1733, où rixes et vengeances s’ajoutent au viol et pourraient être traitées à part : quatre soldats ont « fait violence » à une passagère « jeune et jolie » aperçue dans un coche ; la fille s’est défendue, des témoins l’ont secourue ; les hommes ont tiré l’épée : le maître du coche est tué, un marinier blessé. La procédure s’engage en l’absence des militaires que leur commandant se charge de « représenter quand il en serait besoin ». Poursuite rapidement suspendue : une grâce royale intervient après que les soldats eurent « fait taire, moyennant dix mille livres, la veuve et les enfants (10) ». Une série d’actes violents différents demeure ici impunie : le meurtre, la blessure sur le marinier, l’attaque sur la jeune femme ; trois faits, dont certains, comme les « privautés » sur la voyageuse, ne sont pas retenus à l’instruction
Récit parallèle et issue quasi identique pour Bernier, auteur d’un coup d’épée mortel en 1762 sur un homme venu secourir une jeune fille que ce jeune soldat tourmentait sur le chemin d’Antony. Bernier a croisé devant la barrière de Vaugirard cette fille dont la procédure ne dit presque rien. Il lui « a pris la main », lui « a dit des sottises », l’a poursuivie, l’a « persécutée » au point que Louis Cléraut, le receveur de la barrière, a voulu la « délivrer » en lui faisant dire que sa mère la demandait. Cris, appels, fuite, la jeune fille parvient à se cacher dans une maison où Bernier la retrouve. Rixe enfin, où Bernier « perce » de son épée un simple passant, un jeune homme voulant défendre la fille en faisant le coup de poing. Rien ici qui ne s’apparente à quelque émotion populaire contre l’autorité, ces fièvres inattendues et hostiles d’un petit peuple dominé, ces brusques mouvements de foule parisiens du milieu du XVIIIe siècle qu’Arlette Farge et Jacques Revel (11) ont si bien décrits. Les témoins sont formels : la fille est une brave paysanne d’Antony, le blessé, surgi un peu par hasard avec ses « habits blanchâtres » de bonne compagnie, s’est borné à « défendre l’honneur » de la victime, le soldat est lui-même isolé, dénoncé par ses pairs, contraint de fuir la garde appelée depuis Vaugirard. Le procès de 1762 retient pourtant peu de charges contre Bernier, si peu même qu’il le laisse en liberté et prononce un « plus amplement informé (12) » de six mois équivalant à un acquittement. Le coup d’épée se perd dans l’opacité de la rixe alors que son origine est reconnue par les témoins.