LaPaxENT
2021-07-22 20:05:03
Le « monde de la vie », est une expression traduite de l'allemand Lebenswelt, que Husserl s'approprie, plus comme une « rubrique problématique » que comme un concept parfaitement constitué75. À toutes les étapes de la pensée évolutive de Husserl, remarque Mario Charland76, dans son mémoire, les thématiques du « monde de la vie » comme celle de la « réduction » sont, explicitement ou implicitement, présentes. Il y a avec la Krisis77 un renversement complet de perspective, maintenant ce n'est plus l’ego mais « le monde qui est l'objet d'une pure évidence, monde donné « anté-prédicativement » et qui demeure présent pendant tout le processus de réduction »78. S'agissant du monde de la vie, de sa genèse, la question du « comment de la donnée d'avance », selon l'expression de Husserl, se pose79. Comme l'écrit Dan Zahavi80,« le monde de la vie deviendra une première rubrique intentionnelle, l'index, c'est-à-dire, le fil conducteur pour les questions en retour qui porteront sur la diversité des modes d'apparition et leurs structures intentionnelles ». Pour un tel changement de sol, de l'ego vers le monde pré-donné de la vie, il faut que celui-ci présente un caractère plus systématique de manière que tout ce qui appartenait au monde « anté-prédicatif » atteigne la scientificité même de ce concept note Mario Charland81, dans son mémoire. Qu'en est-il de ce monde que nous fait découvrir l'intentionnalité et qui dépasse l'opposition de l'homme et du monde ? Pour Emmanuel Housset82 « il s'agit de décrire l'unité du mouvement par lequel l'homme vise le monde et du mouvement par lequel le monde s'annonce à l'homme »
Le « monde de la vie », dans lequel je suis moi-même incorporé, n'est pas un simple monde des choses, mais il est tout à la fois, en arrière-plan, un monde de valeurs, de biens et un monde pratique. Cette notion désigne en gros, « le monde tel qu'il se donne par opposition au monde exact construit par les sciences modernes de la nature », les phénoménologues parlent aussi de monde pré-scientifiqueN 7. On peut inclure dans ce concept toutes les prestations, concrètes comme abstraites, qu'un ego peut effectuer dans le cours naturel de sa vie (perception d'objet, de chose, de personne, pensée en général, jugement scientifique, hypothèse métaphysique, croyance de toutes sortes, etc.). Il contient aussi des environnements idéaux, corrélats des actes de connaissance comme les nombres qui se rencontrent dans les actes de numération.Paul Ricœur48, note à ce propos que l'illusion la plus constante qui caractérise la « thèse du monde » est la croyance naïve à l'existence « en soi » de ce monde et que toute perception empirique d'objet aurait a priori un caractère d'évidence que n'aurait pas la simple réflexionN 8.
Dans une note Julien Farges rapporte cette analyse : « l’histoire de ce mot fait apparaître une évolution qui part du monde de la vie « Welt des Lebens », qui passe par le monde du vivant « Welt des Lebendigen », pour nous conduire jusqu’au monde vécu « erlebte Welt », tout cela s’exprime en une seule et unique formule, celle de la « Lebenswelt » ». En résumé la Lebenswelt signifierait selon cet auteur83, le passage d’une vie située « dans un monde » à une vie « vivant le monde » lui-même, et qui façonne celui-ci tout autant qu’elle est façonnée par lui. Cette évolution et cette sédimentation de sens fait, dans une autre contribution de Julien Farges84, de la notion de Lebenswelt « un foyer de tensions entre une mondanéisation de la vie et une subjectivation du monde, qui signifie qu’il n’y va pas en elle de l’une ou l’autre de ces deux tendances, mais bien de l’articulation, de la corrélation même entre un « vivre » et un « monde » ».
Dans la Krisis un nombre important de paragraphes comporte cette expression de « monde de la vie » étudié sous divers angles, par exemple, vis-à-vis des sciences, dans l'œuvre de Kant, face à l'attitude naïve, de la nécessité d'une ontologie du « monde de la vie ».