Le Général n’avait en revanche pas prévu que la mort du roi dollar forgerait le règne du dollar tyran.
Les Américains conservaient leur prééminence militaire ; et l’alliance de l’Arabie saoudite forgée par Roosevelt en 1945 leur garantissait que les puissances du Golfe continueraient d’exiger des dollars en paiement de leur pétrole. La prééminence du billet vert fut ainsi non seulement maintenue, mais renforcée.
La fin de l’étalon-or libérait en effet les Américains du souci de leurs déficits commerciaux puisqu’ils ne les finançaient plus que dans une monnaie qu’ils fabriquaient à volonté.
Le privilège exorbitant cher à Jacques Rueff donnait sa pleine mesure. En 1982, la balance des paiements américaine devint à son tour déficitaire. Les Américains n’en avaient cure.
Aux Européens qui se plaignaient de leur désinvolture, ils avaient pris l’habitude de répondre en reprenant la formule cynique de John Connally, le secrétaire au Trésor du président Nixon :
« The dollar is our currency, but your problem »
Les politiques américains, de droite comme de gauche, accumulèrent les déficits budgétaires, la droite par la baisse des impôts, la gauche par les dépenses : les « déficits jumeaux ».
Ce dérèglement généralisé provoqua la hausse des prix du pétrole ; le chômage et l’inflation rongèrent de conserve les économies européennes.
Les économistes rejetèrent les recettes keynésiennes qui ne fonctionnaient plus pour adopter les thèses monétaristes et libérales de Milton Friedman. Les salariés devinrent un coût à éradiquer et non un futur consommateur à choyer.
Le flottement généralisé des monnaies provoquait une renationalisation des politiques monétaires, une balkanisation de la planète monétaire au moment même où la technologie (internet, porte-conteneurs, monnaie électronique) et les négociations commerciales – sous la pression américaine – abattaient les frontières et imposaient un libre-échange international.
Les Américains avaient trouvé la pierre philosophale : ils l’utiliseraient à satiété ; dans les années 2000, le gouverneur de la Banque centrale américaine, Ben Bernanke – alors simple membre du Conseil – fut surnommé « Ben l’hélicoptère » car il déversait des dollars sur l’économie américaine sans contrôle ni limite.
Pourtant, la compétitivité de l’économie américaine ne se redressa pas : les Américains consommaient trop et n’épargnaient pas assez.
Cette boulimie consumériste – et cette incapacité de mettre de l’argent de côté, si éloignée de l’éthique protestante des Wasp d’origine – coïncide symboliquement avec l’obésité qui déforme tant de corps outre-Atlantique
C’est une société malade, incapable de contrôler ses pulsions, sans cesse encouragée par la publicité à les assouvir ; jamais satisfaite non plus, toujours dans la frustration, la récrimination, le ressentiment.
Des enfants à qui on ne dit jamais non, et qui en réclament toujours plus.
Retournant l’argument avec une pétulante mauvaise foi, les Américains ont fait de leur intempérance une gloire, un service qu’ils rendent au reste du monde, dont ils absorbent les productions.
Les Français sont sans doute les plus proches de leurs grands protecteurs qu’ils aiment tant détester.
Certes, leur épargne est sans commune mesure, mais leur consommation est devenue le seul moteur d’une croissance qui s’est raréfiée au fil des temps.
Comme les Américains, les Français ne connaissent plus de budgets en équilibre depuis la chute du président Giscard. Depuis le début des années 2000, après l’instauration des 35 heures, notre balance commerciale et même notre balance des paiements accusent un déficit grandissant.
Les commentateurs dénoncent sans relâche les médiocres résultats de la compétitivité française dans la mondialisation, le coût excessif du travail, etc.
Or, contrairement à la plupart des économistes, Jacques Rueff voyait, lui, dans le déficit des paiements, non pas une faiblesse exportatrice, mais un manque d’épargne. Un excès de consommation.
La France, comme l’Amérique, est en déficit extérieur car elle a désappris l’épargne. Et en particulier l’épargne publique. Les Français compensent par l’endettement public.
Comme les Américains, nous sommes des enfants capricieux, insatiables, qui ne pouvons plus nous retenir, qui ne pouvons plus nous empêcher. Des enfants à qui jamais personne n’a jamais dit non.
Né en 1890, le général de Gaulle voulait sans doute revenir aux temps bénis de son enfance, avant les dérèglements monétaires de la guerre de 1914. Aux temps de l’ordre et de la stabilité, dans les monnaies comme dans les mots ou les familles.
Dans son roman Les Faux-Monnayeurs, Gide montrait les relations étroites entre la monnaie, la famille, la religion et la société. L’or est le référent suprême, comme le père dans la famille, comme Dieu. La mort du pair, c’est la mort du père et la mort de Dieu le père.
C’est le temps des fils, des frères, du flottement des monnaies. Du désordre institutionnalisé. Le temps des faux-monnayeurs.
« Les mots et les monnaies n’ont plus d’ancrage avec la réalité. Tout est artificiel, faux. Les mots sont comme des “billets à ordre” qui ont perdu leur valeur. Et comme on sait que la mauvaise monnaie chasse la bonne, celui qui offrirait au public de vraies pièces semblerait nous payer de mots. Dans un monde où chacun triche, c’est l’homme vrai qui fait figure de charlatan. »
Les Américains se rassurent à la manière protestante, en bénissant par la divinité leurs turpitudes affairistes : « In God we trust. »
La fin de la parité entre le dollar et l’or a enterré les efforts déployés au cours de tout le XXe siècle pour rétablir l’ordre et la stabilité du XIXe siècle détruits par la Première Guerre mondiale.
Le flottement des monnaies a englouti le monde industrialiste, colbertiste et protectionniste, ce monde si français des Trente Glorieuses.
Richard Nixon ne s’en doutait pas, mais le 15 août 1971, il a, par sa décision tranchante, accouché de notre monde ouvert, fluide, sans ordre ni référence, dynamique mais inégalitaire, ce monde globalisé, libéral et libre-échangiste imposé par les puissances maritimes et marchandes et dominé par la finance, que tout au long de son Histoire la France a obstinément rejeté et combattu par le fer et par le feu
Louis XIV chassant les protestants et faisant la guerre aux Anglo-Hollandais ;
Louis XV après la banqueroute de Law rejetant les thèses libérales des voltairiens et des anglomanes ;
Napoléon avec le Blocus continental ;
la IIIe République avec ses tarifs Méline ;
jusqu’au général de Gaulle et son refus réitéré de laisser entrer le loup britannique dans la bergerie européenne.
Depuis le 15 août 1971, regimbant sans cesse comme un âne qui n’a pas soif, notre pays a été contraint de s’incliner, de céder, et de se soumettre à la nouvelle ère. La mort dans l’âme.
28 février 1972
La semaine qui a changé le monde
Richard Nixon admirait de Gaulle ; Henri Kissinger aussi. Les deux hommes ont toujours regretté d’être arrivés trop tard au pouvoir, alors que le Général quittait la scène.
Mais son message n’a pas été perdu pour tout le monde ; les deux Américains l’ont entendu, écouté, copié.
Ils ont fini par achever cette guerre ingagnable du Vietnam, comme les exhortait le Français dans son célèbre discours de Phnom Penh en 1967.
Quelques mois avant, le général de Gaulle avait déjà surpris le monde entier en annonçant la reconnaissance officielle par la France de la République populaire de Chine alors ostracisée par le monde occidental sous injonction américaine.
De Gaulle renouait alors avec une grande tradition de la diplomatie française, qui se joue des interdits idéologiques au nom des intérêts d’État, comme le firent en leur temps François Ier avec le Grand Turc musulman ou le cardinal Richelieu avec les princes protestants du nord de l’Europe.
En 1972, Nixon imitait le Général. Cet hommage au grand Français se révéla aussi un signe cruel du déclin historique de notre pays.
Les conséquences du geste américain furent incomparables. La « Grande Nation » n’était plus la France mais les États-Unis. La « Nation mastodonte », comme disait de Gaulle en évoquant le temps glorieux où la France au XVIIe et au XVIIIe siècle était surnommée « la Chine de l’Europe », pour sa démographie exubérante, avait passé le relais à la vraie Chine.
De Gaulle avait la tête impériale, Nixon avait le corps.
En venant à Pékin, il coupait en deux l’Histoire du XXe siècle.
Il en est alors conscient, parlant de « la semaine qui a changé le monde ».
L’alliance de la Chine et des États-Unis constitue le grand renversement d’alliances du XXe siècle. Le voyage de Nixon marque le début de la fin de la guerre froide.
Il faudra une décennie pour que cette alliance donne sa pleine mesure. En 1979, Deng Xiaoping engage la modernisation de l’économie chinoise, qui rompt avec le collectivisme communiste ;
en 1980, Ronald Reagan, élu président des États-Unis, inaugure une politique néolibérale qui marque la sortie historique du modèle rooseveltien du New Deal, les débuts de la dérégulation de la finance et des déficits budgétaires colossaux que les Chinois prendront l’habitude de financer grâce à leurs premiers excédents commerciaux.
Les multinationales américaines délocalisent leurs usines en Chine pour profiter des salaires misérables des ouvriers chinois et exporter leurs produits dans le monde entier, au plus grand profit des nouveaux condottieri capitalistes, Bill Gates, Steve Jobs, etc
Pékin se sert de la cupidité des dirigeants des compagnies américaines pour ériger, à une vitesse unique dans l’Histoire, cette puissance industrielle dont Mao avait rêvé (il voulait, le petit joueur, rattraper la Grande-Bretagne !) ; et pour laquelle il avait sacrifié des dizaines de millions d’hommes.
Les théoriciens libéraux américains qui, à cette époque, autour de Milton Friedman, commencent à supplanter dans les universités d’outre-Atlantique la vieille garde keynésienne, expérimentent en grand leurs idées.
Les fameux Chicago Boys se sont d’abord fait la main à partir de 1973 sur le Chili, après le renversement du socialiste Allende par les militaires.
Les théoriciens de la « main invisible » et du moins d’État s’accommodent fort bien de dictateurs implacables, que ce soit le général Pinochet ou des hiérarques communistes chinois. Comme si la « main invisible » du marché avait besoin de la « main de fer » de la tyrannie pour s’imposer aux populations, brisant ainsi l’alliance séculaire entre la démocratie et le marché, entre libéralisme politique et libéralisme économique, que l’on croyait pourtant scellée dans le marbre depuis Adam Smith.
La guerre froide entre les États-Unis et l’URSS était symbolisée par le rideau de fer qui coupait Berlin en deux ; les frontières étaient surveillées, verrouillées, sacralisées. Le monde inauguré par le voyage de Nixon en Chine sera un monde ouvert, celui à venir d’internet et des porte-conteneurs (et des paradis fiscaux) qui abolira, niera, ridiculisera les frontières.
La fin du XXe siècle retrouverait ainsi les couleurs de la fin du XIXe siècle, qui avait connu une première mondialisation, favorisée là aussi par le creusement des grands canaux (Suez, Panama), le développement du commerce international, les nouvelles découvertes technologiques (téléphone, automobile, avion), l’extension du libre-échange, sous la houlette de la Grande-Bretagne, grande puissance impériale, industrielle, financière de l’époque, qui jouait alors le rôle de « gendarme du monde », tenu depuis 1945 par les États-Unis.
La comparaison avec le monde d’avant 1914 est édifiante pour un Français. En 1815, la puissance maritime dominante, la Grande-Bretagne, a vaincu sa rivale continentale, la France de Napoléon, grâce au soutien d’une autre puissance continentale ambitieuse, mais encore marginale, la Prusse. C’est Blücher qui sauve « Wellington acculé sur un bois » par Napoléon à Waterloo, pour que le combat change d’âme.
Toute l’Histoire du XIXe siècle peut se résumer à la montée en puissance de la Prusse qui élimine l’Autriche, puis écrase la France, qui l’avait humiliée à Iéna, et finit, grâce à son dynamisme démographique et commercial, par menacer les positions impériales de la puissance maritime.
Alors, la Grande-Bretagne s’allie à l’ancien ennemi français pour contenir la menace de la nouvelle puissance continentale : l’Allemagne. Cette lutte entraînera une guerre de trente ans (les deux guerres mondiales) et quelques millions de morts
Un siècle plus tard, il faut remplacer l’Angleterre par les États-Unis, la France de Napoléon par l’URSS, et l’Allemagne par la Chine, l’empire du milieu… de l’Europe, par l’empire du Milieu. Mais c’est toujours le même affrontement entre la mer et la terre.
L’URSS vaincue en 1989 et détruite en 1991, la montée en puissance de la Chine finira par inquiéter les États-Unis. Et les voisins de la République populaire que les États-Unis s’efforceront de fédérer : Inde, Japon, Singapour, Australie.
Au début du XXe siècle, les Anglais avaient décidé d’affronter l’Allemagne après que celle-ci, jetant par-dessus bord les matoises prudences bismarckiennes, avait lancé une grande et ambitieuse politique de construction navale pour rivaliser avec la Royal Navy.
La Chine, en 2012, a inauguré son premier porte-avions, et veut faire de la mer de Chine son arrière-cour maritime.
Napoléon reprochait déjà à l’Angleterre de le poursuivre de sa vindicte pour assouvir sa boulimie de dettes et enrichir sa chère City.
Deux siècles plus tard, les Chinois reprochent aux États-Unis de crouler sous les dettes, et de développer un capitalisme casino qui sacrifie tout, jusqu’à la prospérité du monde, pour satisfaire la cupidité nsatiable des financiers de Wall Street.
À la suite du geste d’ouverture de De Gaulle à destination de la Chine populaire les Français, toujours intellectuels en politique, ont inventé puis conceptualisé le monde multipolaire forgé par le voyage de Nixon en Chine en 1972. Mais nous ne parvenons pas à y trouver une place digne de notre passé.
Bruay-en-Artois :
coupable parce que bourgeois
6 avril 1972
Il est grand, le teint rougeaud, une calvitie prononcée. Hautain et arrogant.
C’est un notable de province, un riche notaire ; il a hérité d’une fortune terrienne qu’il a fait fructifier.
Il est membre du Rotary Club. C’est un bourgeois du Nord.
Michel Bouquet aurait pu l’incarner dans un film de Claude Chabrol. Il vit encore à trente-sept ans chez sa mère, une catholique rigoriste.
Il a une maîtresse, Monique Mayeur, en instance de divorce. Il a pris l’habitude de garer sa voiture rue de Ranchicourt, derrière la grande villa blanche où habite Monique, près d’un terrain vague qui la sépare de la brique sombre des corons, pour dissimuler à tous, et surtout à sa rugueuse mère, sa liaison.
Le juge d’instruction Henri Pascal est un rondouillard et sympathique quinquagénaire.http://image.noelshack.com/fichiers/2016/48/1480464169-1477945755-image.png
Petit homme volubile, Méridional égaré chez les gens du Nord qui ont dans le cœur le soleil qu’ils n’ont pas dehors. Se révélera fort télégénique ; en fin de carrière, s’ennuie à Béthune.
Il s’est toujours senti déclassé – brillant étudiant, mais fils de pauvres – au sein d’une profession d’« héritiers » qui « se considèrent le plus souvent comme des descendants de l’ancienne noblesse de robe » enfermés dans « leur tour d’ivoire ».
Il est un militant de la première heure du Syndicat de la magistrature, né après Mai 68, qui a justement clôturé ses dernières assises sur le thème de « La justice et l’argent ».
Léon Dewèvre est un mineur des Houillères. Avec sa femme Thérèse, ils resteront dignes dans le malheur, comme des incarnations d’ouvriers chez Zola.
Le cadavre de leur fille Brigitte est découvert le 6 avril 1972 sous de vieux pneus par deux enfants jouant au ballon dans le fameux terrain vague. L’autopsie révélera qu’elle a été étranglée avec un foulard, frappée à coups de hache, mais pas violentée. Brigitte n’avait pas seize ans. La mort tragique de cette « enfant du peuple » sera annoncée dans un entrefilet de la presse locale.
Le 30 octobre 2019 à 16:36:00 MeharisteFranc a écrit :
Super interessant khey, continue. Je fav pour tout lire ce soir.
Le jeudi 13 avril en revanche, l’arrestation du notaire déclenchera un hourvari médiatique jamais vu en France depuis l’affaire Dominici.
C’est à Bruay-en-Artois que sont inaugurées les antennes mobiles qui permettent aux reporters de réaliser des interviews en direct.
Le juge a allumé la mèche en laissant filmer par les caméras l’arrestation du notaire menotté. Lors de la reconstitution du crime, il lâche : « Je n’ai pas perdu mon temps. »
Il alimente la presse pour « ne pas laisser courir les bruits les plus faux » et « faire connaître ses idées sur la justice ».
Il théorise une justice transparente, au plus près des justiciables. Les journaux, radios, télévisions envoient d’innombrables reporters, sommés de fournir « infos et scoops » quotidiens, qui se transforment en Rouletabille, quêtant le moindre indice, l’inventant si nécessaire, refaisant les enquêtes, concurrençant police et justice, les bousculant, les harcelant, déchaînant les passions populaires, tour à tour acteurs et commentateurs de la tragédie qu’ils écrivent chaque jour.
Le juge Pascal n’a jamais présenté une preuve matérielle de la culpabilité du notaire. Il se fondera toujours sur son « intime conviction », traquant les contradictions, voire les mensonges du coupable qu’il s’est choisi.
Les juges rouges avaient forgé une théorie et une pratique de la justice révolutionnaire. La lecture de Marx leur avait appris que le droit était avant tout le produit du rapport de forces entre les classes sociales.
Ils décidèrent de le mettre au service des défavorisés ; d’en faire l’instrument de la lutte des classes et de la révolution ; d’attaquer le puissant parce qu’il est puissant et même s’il est innocent ; de protéger le faible, le pauvre, le jeune, l’immigré, parce qu’il est une victime de la société, fût-il coupable.
L’affaire de Bruay-en-Artois est la première mise en pratique de leur théorie aveugle. Dans les années 1980, d’autres juges rouges, petits frères du juge Pascal, atteindront leur nirvana idéologique et médiatique avec l’arrestation toujours mise en scène de grands patrons, de politiques, de ministres même, au risque de délégitimer le juste combat contre la corruption croissante de nos élites.
Dans cette région marquée et meurtrie par l’industrialisation du XIXe siècle – pendant cent vingt ans, jusqu’en 1979, Bruay-en-Artois fut le grand centre houiller du Pas-de-Calais –, le petit juge sera rejoint, soutenu, débordé par des militants maoïstes venus se frotter à cette classe ouvrière qu’ils idolâtrent et idéalisent, dans laquelle ils rêvent de s’immerger comme « un poisson dans l’eau ».
Un mineur, Joseph Tournel, mène l’opération sur place. Il a été recruté par Benny Lévy, alors patron des maoïstes de la Gauche prolétarienne, pour sa connaissance de la région ; il parle chti et incarne la figure prolétarienne.
Il est secondé par un professeur de philosophie qui enseigne au lycée de Bruay, François Ewald.
Ils sont tous deux sous la houlette du chef régional de l’organisation, qui porte le pseudonyme de Marc.
Celui-ci est chargé de garantir la pureté idéologique de l’opération et de mettre en place une agence de presse locale pour concurrencer la presse bourgeoise.
Marc s’appelle de son vrai patronyme Serge July. Son journal, Pirate, utilise les journalistes militants de l’Agence de presse Libération, créée neuf mois plus tôt sous le parrainage prestigieux de Jean-Paul Sartre et de Maurice Clavel.
Les jeunes maoïstes ont hérité dans leurs gènes idéologiques de réflexes terroristes, issus de 1793, de 1917 et de la révolution chinoise. La Terreur robespierriste agissait au nom de la vertu ; les maoïstes sont des puritains qui vitupèrent contre « la vie cochonne des bourgeois » et lui opposent une morale ouvrière idéalisée.
L’aristocrate était un vil débauché ; le bon bourgeois chabrolien aussi. Les nobles étaient des libertins cyniques à la manière de Valmont dans Les Liaisons dangereuses ; et leurs femmes, des catins hautaines.
Dans les ruelles de Béthune, à l’ombre des austères corons, on glose sans se lasser sur « les orgies » qui avaient lieu – disait-on – derrière les fenêtres sans volets La police judiciaire voit défiler toutes les prostituées et tenancières de « maisons » du département. Elles décrivent avec moult détails les exigences sexuelles du notaire, dressant le portrait d’un pervers monstrueux proche du marquis de Sade.
Toutefois, convoquées par le petit juge qui croit tenir son coupable, ces dames avouent qu’elles ont parlé sous pression de la police. Se rétractent.
Le procureur demande alors que ces rétractations soient consignées par écrit ; et le ministre de la Justice, René Pleven, rappelle que « l’inculpé est présumé innocent ».
Mais comme l’aristocrate était l’ennemi de la Révolution par naissance, le notaire de Bruay est coupable parce que bourgeois.
La décadence est apportée par la bourgeoisie et est transmise aux classes plus basses qui tente de reprendre les mauvais comportement des bourgeois
Le 1er mai 1972, La Cause du peuple publie une double page consacrée au crime, titrée : « Et maintenant ils assassinent nos enfants » ; et sous-titrée de manière explicite : « Le crime de Bruay : il n’y a qu’un bourgeois pour avoir fait ça ! »
Un comité Vérité-Justice est créé pour défendre le petit juge dessaisi le 13 juillet par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Les gardiens du temple maoïste embrigadent les parents Dewèvre, lancent des appels au lynchage contre les bourgeois.
Dénoncent sans se lasser la « justice de classe », et réclament l’avènement de la « justice populaire ».
Dans La Cause du peuple, on lit : « Un notaire qui mange des steaks d’une livre quand les ouvriers crèvent la faim ne peut être qu’un assassin d’enfant. »
Retrouvant la verve exterminatrice du Père Duchesne de 1793, ils promettent :
« Oui nous sommes des barbares. Il faut le faire souffrir petit à petit. Qu’on nous le donne, nous le couperons morceau par morceau au rasoir ! Je le lierai derrière ma voiture et je roulerai à cent à l’heure dans les rues de Bruay. Il faut lui couper les couilles ! […] Barbares ces phrases ? Certainement, mais pour comprendre il faut avoir subi cent vingt années d’exploitation dans les mines. »
Lorsqu’un jeune camarade de Brigitte Dewèvre, Jean-Pierre, s’accuse du meurtre, ils le défendent avec véhémence. Un fils d’ouvrier ne peut pas être un assassin d’enfant.
Le 2 juin 1973, Libération titre :
« BRUAY : JEAN-PIERRE N’EST PAS L’ASSASSIN. »
Jean-Pierre revient sur ses déclarations.
Sur les instances de Michel Foucault atterré, Jean-Paul Sartre, qui a d’abord soutenu sans relâche la lutte des maoïstes contre le salaud de bourgeois, s’efforce de calmer les ardeurs révolutionnaires dans un article intitulé « Lynchage ou justice populaire ? » Mais la fraction alors proche de Benny Lévy lui répond : « Si Leroy (ou son frère) est confondu, la population aura-t-elle le droit de s’emparer de sa personne ? Nous répondons oui ! Pour renverser l’autorité de la classe bourgeoise, la population humiliée aura raison d’installer une brève période de terreur, et d’attenter à la personne d’une poignée d’individus méprisables, haïs. Il est difficile de s’attaquer à l’autorité d’une classe sans que quelques têtes de membres de cette classe ne se promènent au bout d’une pique. »
À Bruay-en-Artois, eut lieu la rencontre improbable et explosive de trois conceptions de la justice : la justice du peuple des maoïstes, la justice au service du peuple, ou plutôt du justiciable, du petit juge, et la justice médiatique des grandes rédactions parisiennes. Elles s’entrecroisèrent, se renforcèrent et parfois rivalisèrent.
Le 30 octobre 2019 à 17:09:50 Celtissou53 a écrit :
ça vient d'où tes pavés clé
déjà posté en page 1 zemmour le suicide français camarade
L’Angleterre en cheval de Troie
23 avril 1972
Et Milord cessa de pleurer. Ce fut dix ans après que le général de Gaulle eut moqué sir Macmillan, Premier ministre anglais à qui il avait refusé l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, en lui chantonnant le refrain de la célèbre chanson d’Édith Piaf.
En 1967, le Général avait réitéré son rejet sans chanson mais sans hésitation.
On ne peut comprendre les raisons qui ont poussé Georges Pompidou à parrainer l’entrée de la Grande-Bretagne dans la CEE, si on ne connaît pas celles qui avaient incité le Général à leur claquer la porte au nez, car ce sont les mêmes, mais retournées comme un gant. Dans cette affaire, Pompidou agit en anti-de Gaulle.
Le Général considérait que les intérêts de l’Angleterre et du Marché commun étaient contradictoires.
Les Britanniques ont l’habitude de s’approvisionner en produits venus du monde entier, alors que le Marché commun repose sur la politique agricole commune qui permet à l’agriculture française de nourrir ses voisins.
Les Britanniques sont, depuis le milieu du XIXe siècle, de farouches partisans du libre-échange, alors que le Marché commun est protégé par un tarif extérieur commun, symbole d’une préférence communautaire.
« Sans la PAC et le tarif extérieur commun, il n’y a plus d’Europe » précisait de Gaulle à Peyreffite.
Or, Pompidou accepte que les Anglais conservent leurs échanges avec le Commonwealth ; et l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun coïncide avec le début des grandes négociations commerciales qui abattront peu à peu toutes les barrières douanières de « la forteresse Europe ».
Ces négociations, les Américains les appellent des rounds, comme en boxe. L’Europe en sortira K.-O.
Les Anglais furent bien le cheval de Troie américain que craignait de Gaulle.
Churchill l’avait prévenu à la fin de la guerre : « Entre le grand large et le continent, nous choisirons le grand large. »
Lord Macmillan avait averti de Gaulle, dès son retour au pouvoir en 1958 :« Ne faites pas l’Europe, ce sera comme le Blocus continental de Napoléon. Ce sera la guerre ! »
C’est en écho à cette phrase de Macmillan que Pompidou abolit le veto du Général. Il veut montrer que l’Europe n’est pas – n’est plus – le Blocus continental. Il veut instaurer une nouvelle Entente cordiale avec les Anglais. Il croit ainsi bénéficier des bonnes grâces de leur protecteur américain. Il sait la France affaiblie par Mai 68. Il s’est résolu à dévaluer le franc, ce que de Gaulle, par orgueil, avait refusé. Il souhaite apaiser les tensions avec les Anglo-Saxons pour pouvoir achever l’édification d’une grande puissance industrielle française.
On peut comparer son projet à celui de Napoléon III, le dernier grand dirigeant industrialiste français avant lui qui, de même, chercha l’amitié anglaise.
Pompidou est aussi dans la lignée du Régent, après la mort de Louis XIV en 1715, ou de Talleyrand, après la chute de Napoléon en 1815.
À des périodes de tensions et de guerre, succède une pacification, avec, du côté français, de grands conciliateurs et négociateurs, qui privilégient le « doux commerce » sur le fracas des armes.