Les trois économistes Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo et François Fontaine défendent, dans une tribune au « Monde », la réforme de l’indemnisation des chômeurs qui entrera en vigueur le 1er juillet et soulève de vives protestations
L’assurance-chômage a joué un rôle essentiel durant cette crise en protégeant les ménages. La couverture exceptionnelle de ce régime en France ne doit cependant pas faire oublier ses dérives. A la faveur de réformes successives voulues par les partenaires sociaux, le régime est aussi devenu une machine à fabriquer de la précarité, source de chômage et de déficits quasi permanents.
L’introduction du système d’activité réduite permet de travailler tout en étant indemnisé. Associé à l’ouverture de droits dès quatre mois de travail, à la règle de « 1 jour travaillé 1 jour indemnisé », à l’instauration du rechargement des droits dès qu’on reprend un emploi, ainsi qu’à un mode de calcul de l’allocation très favorable aux contrats courts, ce système a favorisé l’explosion des emplois précaires.
Il est désormais possible de gagner presque autant en travaillant la moitié des jours dans le mois qu’en travaillant à temps plein, et cela sans limitation de durée. Les employeurs le savent et n’ont plus aucun frein à offrir ce type de contrat. Depuis dix ans, le nombre de CDD de moins d’un mois a augmenté de 150 % ! On y recourt désormais dix fois plus qu’en Allemagne et cinq fois plus qu’au Danemark.
Une indemnisation qui reflète mieux la quotité de travail
La réforme du gouvernement, âprement contestée, vise à freiner cet emballement aussi coûteux qu’inéquitable. Le système actuel contrevient à une règle fondamentale qui veut qu’on ne gagne pas plus au chômage qu’en travaillant. L’allocation versée un mois donné est calculée actuellement sur la base des seuls jours travaillés, si bien qu’il est possible de percevoir à la fin du mois une allocation deux à trois fois plus élevée que son ancien salaire, à condition de n’accepter que des contrats courts !
Prenons une personne travaillant à mi-temps en CDI pendant un an, et une autre travaillant 15 jours par mois en CDD courts pendant un an. Dans ces deux configurations, la quotité de travail est la même. Une fois au chômage, l’allocation mensuelle est de 64 % du salaire mensuel antérieur pour la personne à temps partiel mais passe à 128 % – le double – dans le cas du CDD par intermittence. Et l’augmentation de revenu en entrant au chômage peut être encore plus élevée pour des durées de contrat plus courtes.
La réforme vise à instituer une indemnisation qui reflète mieux la quotité de travail et le revenu antérieurs des allocataires de l’assurance chômage. À cette fin, il est désormais tenu compte de tous les jours, y compris ceux non travaillés, dans la limite d’un plancher, afin de définir un revenu du travail moyen comparable pour tous. Avec cette méthode, le montant des allocations devient identique dans les deux cas cités précédemment.
La durée d’indemnisation passe de 6 à 10,5 mois
En contrepartie, la durée de versement de l’allocation s’allonge pour les titulaires de contrats courts et rejoint celle du CDI, suivant un principe d’équité simple : à quotité de travail et revenus moyens égaux, allocation et droit à l’assurance chômage égaux. En parallèle, la réforme instaure un bonus-malus pour les employeurs en modulant leurs cotisations au régime en fonction du nombre de fin de contrats qu’ils génèrent.
Cette réforme, qui va clairement dans le bon sens, ne s’appliquera qu’à partir de la reprise du marché du travail et uniquement pour les nouveaux inscrits. Pourtant, la note publiée le 3 mai par l’Unédic suggère, avec des exemples soigneusement sélectionnés, qu’elle crée des inégalités et des diminutions d’allocations pour certains demandeurs d’emploi.
Elle cite notamment le cas d’une personne ayant eu deux CDD de trois mois espacés de trois mois sans emploi et qui s’inscrit au chômage puis reprend un CDD d’un mois dans le cadre de l’activité réduite. Certes, l’allocation de cette personne baisse de 18 %, mais lorsqu’on tient compte du cumul avec le salaire, le revenu total diminue en réalité de 7 %. Par ailleurs, la durée d’indemnisation passe de 6 à 10,5 mois grâce à la réforme, ce qui la rend plus favorable à ceux qui resteront plus longtemps au chômage.
Une quasi-absence de contrôle de l’Assemblée nationale
Enfin, les calculs de l’Unédic ne tiennent pas compte des autres prestations. Or, le RSA compense les pertes de ceux qui ne travaillent pas et perçoivent de faibles allocations, tandis que la prime d’activité complète les revenus de ceux qui travaillent. Le système de redistribution vient donc limiter les pertes de revenu, mais d’une manière mieux ciblée que ne pourrait le faire l’assurance-chômage, car il prend en compte la situation familiale.
Le fait que l’Unedic ne tienne pas compte de l’ensemble des transferts dans son évaluation de l’effet de la réforme est révélateur d’un problème fondamental : la protection sociale est gouvernée par plusieurs pilotes qui visent des objectifs différents, avec une quasi-absence de contrôle de l’Assemblée nationale, qui devrait pourtant être en première ligne sur ce sujet, d’autant qu’une partie significative de l’assurance-chômage est financée par l’impôt.
La réforme vise à instituer une indemnisation qui reflète mieux la quotité de travail et le revenu antérieurs des allocataires de l’assurance chômage. À cette fin, il est désormais tenu compte de tous les jours, y compris ceux non travaillés, dans la limite d’un plancher, afin de définir un revenu du travail moyen comparable pour tous. Avec cette méthode, le montant des allocations devient identique dans les deux cas cités précédemment.