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2021-11-20 16:05:29
Treize raisons pour en finir avec le délit d'outrage
1. Parce qu’il y a dans la loi sur la presse de 1881 tout ce qu’il faut pour réparer l’outrage.
2. Parce que l'outrage empêche tout dialogue avec les forces de l'ordre et constitue une rupture d'égalité entre citoyens, en contradiction avec l'article 1er de la Constitution disposant que «la République assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine». L'agent verbalisateur étant à la fois juge et victime de l'infraction, devant un tribunal, c'est parole contre parole : celle du fonctionnaire assermenté contre celle du citoyen lambda, et les magistrats font rarement preuve de l'impartialité que l'on est en droit d'attendre d'eux.
3. Parce que l’outrage est utilisé par les forces de l’ordre comme un instrument de représailles pour couvrir des violences de plus en plus insupportables allant jusqu’à l’homicide, des abus d’autorité, des gardes à vue arbitraires qui font de chaque citoyen, quelles que soient ses origines sociales, un coupable potentiel, avec un facteur aggravant lorsque les personnes contrôlées sont stigmatisées en raison de leur couleur de peau, de leurs origines ethniques, de leur sexe ou de leur orientation sexuelle.
4. Parce que son existence libère la violence des forces de l’ordre et constitue une arme intolérable entre les mains de policiers qui érigent en doctrine la provocation et le mensonge, comme on a pu le constater lorsque les policiers responsables de la mort de Cédric Chouviat, pour se dédouaner d’un homicide, invoquèrent le fait que leur victime les aurait outragés.
5. Parce qu’au délit d’outrage s’ajoute fréquemment le délit de rébellion, consistant à opposer une résistance à un agent de la force publique, utilisé avec le même arbitraire et la même absence de preuves par les forces de l’ordre pour transformer les victimes de leurs violences en coupables.
6. Parce que l’outrage est utilisé à des fins mercantiles par des policiers qui arrondissent leurs fins de mois en se portant partie civile, leurs frais de justice étant intégralement pris en charge par la République. En 2013, l’Inspection générale de l’administration (IGA) évaluait à 1 000€ le coût pour l’administration de chaque plainte pour outrage.
7. Parce que l’outrage est utilisé pour faire grimper le taux d’élucidation des infractions, 6 signalements sur 10 donnant lieu à une condamnation. Entre 2016 et 2019, le nombre de condamnations pour outrage ou rébellion a progressé de 21%, de près de 12 000 à 14 500, quand il s’agit de la seule infraction. En comptant les cas où l’infraction est couplée avec un autre délit (rébellion), le nombre de condamnations est passé de 25 000 en 2016 à près de 28 000 en 2019 (+12%).
8. Parce que l’outrage est utilisé par le pouvoir comme une arme de répression massive des luttes sociales, syndicales, particulièrement lors des manifestations contre la loi El Khomri et la réforme des retraites. Ces abus ont pris des proportions alarmantes avec la répression brutale du mouvement des gilets jaunes, dont plusieurs milliers ont été traînés devant les tribunaux et 800 emprisonnés, pour des motifs souvent aberrants et la criminalisation de journalistes (Gaspard Glanz, Taha Bouhafs) et d’observateurs indépendants (Ligue des droits de l’homme) couvrant les manifestations ont été poursuivis pour outrage. Un cap a été franchi avec la gestion ultra-répressive de la crise du coronavirus et du confinement, comme on le voit avec les procès pour outrage et rébellion intentés à l’aide-soignante Maré Ndiaye (Mulhouse) et l’infirmière Farida Chikh (Paris).
9. Parce ce que ce détournement du code pénal fait de l'outrage un délit d'exception évoquant davantage un Etat policier qu'une démocratie, qui n'a plus sa place dans une France qui a oublié qu'elle était la patrie «des droits de l'homme» et bafoue sans vergogne l'article 431-1 du code pénal réprimant l'entrave à la liberté d'expression, l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, lequel stipule : «Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.»
10. Parce que des magistrats n’hésitent plus à poursuivre des citoyens en violation flagrante de l’article 433 du code pénal, stipulant que l’outrage réprime des paroles ou des gestes non publics, par exemple lors des poursuites ubuesques contre les poseurs de banderoles «Macronavirus».
L'actuel Garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti l'avait fort justement exprimé lorsqu'il obtint, en 2014, la relaxe d'Henri Guaino, poursuivi pour outrage à un magistrat (pour des griefs relevant de l'injure publique et de la diffamation), son client étant condamné après appel du parquet, avis annulé par la Cour de cassation.
11. Parce qu’à l’heure où des millions de Français, ne supportant plus de vivre dans la peur de cette police-là, demandent vérité et justice pour la mort de tous les Rémi Fraisse, les Lamine Dieng, les Adama Traoré, les Cédric Chouviat exécutés, asphyxiés par les forces de l’ordre, la dépénalisation de l’outrage permettrait de poser les bases d’une désescalade des violences policières, ce cancer de la société française, dans un pays où l’institution censée sanctionner les policiers au comportement délictueux ou criminel (IGPN) est juge et partie, faisant d’eux des citoyens au-dessus des lois avec la complicité d’une justice davantage au service du pouvoir qu’au service des citoyens et de la République.
12. Parce que, loin d’aller dans le sens des mesures d’apaisement préconisées par le défenseur des droits Jacques Toubon dans son rapport de juillet 2020, le pouvoir, cédant aux menaces des syndicats de policiers d’extrême droite, met en place de nouveaux dispositifs répressifs qui ne feront qu’aggraver la spirale répressive d’une police en roue libre, bafouant son propre code de déontologie et dont les excès sont couverts par leur hiérarchie, dans un pays où la doctrine du maintien de l’ordre a laissé place à une inquiétante militarisation de la répression, qui vaut à la France d’être interpellée par des ONG (comme Acat, l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture ou Amnesty International) et par l’ONU.
13. Parce que le délit d’outrage, exception française avec ses relents nauséabonds d’Ancien Régime, n’a rien à faire dans une République et n’existe pas chez la plupart de nos voisins européens, ni aux Etats-Unis, ni dans la plupart des ex-dictatures d’Amérique latine.