Dextre329
2021-06-28 14:19:05
Publié le 27/06/2021 : https://www.lejdd.fr/JDD-Paris/mes-enfants-sont-tellement-fiers-dhabiter-ce-quartier-a-la-samaritaine-cohabitent-luxe-et-hlm-4054266
La vue :https://image.noelshack.com/fichiers/2021/26/1/1624882631-capture-d-ecran-2021-06-28-a-14-17-01.jpg
Le bâtiment :https://image.noelshack.com/fichiers/2021/26/1/1624882928-image-processing20210608-24141-p1ukm9.jpghttps://image.noelshack.com/fichiers/2021/26/1/1624882932-la-samaritaine-and-statue-of-henri-iv-2.jpg
Fatima n'en croit toujours pas ses yeux. Tous les matins, quand elle regarde par la fenêtre de son HLM, où elle a emménagé il y a quatre mois avec ses trois enfants de 17, 13 et 9 ans, elle se demande si elle ne rêve pas. Son vis‑à-vis, à un jet de pierre, n'est autre que la colonnade du Louvre, encadrée par les arcs-boutants de l'église Saint-Germain-l'Auxerrois et le beffroi néogothique de la mairie du 1er arrondissement. Sur sa gauche, à une centaine de mètres, coule la Seine. Au loin s'élève la tour Eiffel. "C'est magique!", s'extasie Fatima, chômeuse de 38 ans. Elle habite rue de l'Arbre-Sec, dans la Samaritaine.
Car au sein de ce nouveau temple du luxe, inauguré cette semaine par le président de la République, la maire de Paris et le propriétaire des lieux, Bernard Arnault, 96 logements sociaux et une crèche de 80 berceaux ont été intégrés à la demande expresse de la Ville. Racheté en 2001 par LVMH, le grand magasin a fermé ses portes en 2005. Les travaux de rénovation – 750 millions d'euros – ont consacré la "renaissance d'un formidable trésor patrimonial français", selon les mots d'Emmanuel Macron. Les bâtiments Art nouveau et Art déco, classés aux monuments historiques, ont retrouvé leur splendeur.
Les mosaïques, émaux, céramiques, décors en laiton, fresques ont été minutieusement restaurés, ainsi que le majestueux escalier, ses garde-corps en fer forgé avec leurs feuilles de marronnier dorées à l'or fin, et la verrière monumentale, restituée par l'agence d'architectes Sanaa. Les Japonais ont aussi signé une élégante façade en verre ondulé – dite en "rideau de douche" – qui a fait polémique, côté rue de Rivoli.
Outre 15.000 mètres carrés de bureaux, la nouvelle Samaritaine abrite désormais 600 marques de luxe sur 20.000 mètres carrés, quatre restaurants dont un gastronomique et un hôtel fastueux de la marque Cheval Blanc de 72 chambres qui ouvrira le 7 septembre. Mais aussi, donc, ces 96 logements sociaux (5.371 mètres carrés au total), au cœur de la capitale, où le prix du mètre carré avoisine les 13.500 euros en moyenne, et dépasse même parfois les 20.000 euros. Acquis en 2012 par Paris Habitat, bailleur de la Ville, en Vefa (vente en l'état futur d'achèvement), au prix de 4.250 euros le mètre carré, soit 23,7 millions d'euros au total, ils ont été aménagés par LVMH et l'architecte François Brugel.
"Il n'y a pas, à Paris, de quartiers interdits aux familles modestes et aux classes moyennes", argue Ian Brossat, l'adjoint communiste d'Anne Hidalgo chargé du logement, à qui il n'a pas échappé que l'implantation de HLM dans les quartiers chics et centraux faisait grincer des dents. "J'assume totalement la charge symbolique de l'opération, ajoute-t‑il. D'autant qu'avec une centaine d'appartements on est au-delà du symbole, on rééquilibre." Le 1er arrondissement dénombre 11% de logements sociaux, contre 4% en 2001. Il reste encore du chemin pour atteindre les 25% de la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU).
Dans la Samaritaine, ces 51 studios, 4 T2, 8 T3, 28 T4 et 5 T5 se répartissent en 24 logements "très sociaux" pour les personnes en grande précarité, 48 en prêt locatif à usage social (PLUS) et 24 en prêt locatif social (PLS) pour les classes moyennes (loyer de 5 à 8 euros du mètre carré). Les premières familles se sont installées en octobre. Elles ont été choisies selon des critères d'urgence sociale et le caractère "essentiel" de leur métier. Ainsi, les résidents sont des infirmières, des enseignants ou des agents de la Ville. Douze appartements sont encore inoccupés. Les dernières visites ont lieu en ce moment.
"Notre doctrine est de faire du logement à prix abordable partout dans la capitale", explique Éric Pliez, maire du 20e et président de Paris Habitat, qui rappelle que "70 % des Parisiens" sont éligibles au logement social. L'ancien directeur du Samu social n'ignore pas que "les quartiers bourgeois sont parfois réticents", mais "après quelques semaines les locataires deviennent des voisins ordinaires et ça se passe bien". Le maire PS de Paris Centre (1er, 2e, 3e et 4e arrondissements), Ariel Weil, se réjouit lui aussi de cette possibilité de "faire de la vraie mixité sociale" : "Ça me plaît que ces logements sociaux offrent la même vue, sublime, sur Paris que la suite de plus de 1.000 mètres carrés de l'hôtel Cheval Blanc. Certains disent que ces nouveaux habitants ont gagné au loto ; et pourquoi pas? Tant mieux pour eux!"
Fatima, elle, dans son T5 tout neuf, a conscience de sa chance. "Je vous assure que je ne suis pas pistonnée, je ne connais personne d'important, moi!" Au début, raconte-t‑elle, elle était "un peu paniquée", un peu perdue dans ce cœur historique si différent de la porte d'Italie, où elle vivait jusqu'alors. "Je ne savais pas où faire mes courses, où trouver une boulangerie. J'en avais repéré une, mais c'était un 'créateur de pain' très très cher." Heureusement, la gardienne lui a conseillé un "vrai boulanger" et une supérette. Fatima s'émerveille : "Mes enfants sont tellement fiers d'habiter ce quartier!" Et elle ne se lasse pas de contempler sa vue exceptionnelle.